The Playlist
Refaire The Social Network en Suède : le pari de The Playlist a quelque chose d’assez évident. Avec leurs débuts toujours cahoteux autour d’un noyau d’entrepreneurs ambitieux et leur ribambelle de concessions, sacrifices, arrangements et coups de couteau dans le dos (voir aussi Super Pomped ou WeCrashed), il est clair que l’histoire secrète de beaucoup de start‑up devenues géantes du digital coche les cases de la tragédie 2.0. Et celle de Spotify ajoute à ce cocktail déjà juteux la capacité de parler de la façon dont les habitudes d'écoute de toute une génération ont été bouleversées par l’avènement du streaming.
6 épisodes, 6 points de vue
Mais comment raconter cette histoire, autant personnelle que collective, depuis l’idée pitchée dans un bar de Stockholm jusqu’aux quasi 10 milliards de chiffre d’affaires affichés par Spotify en 2021 ? S’inspirant d’un livre de deux journalistes suédois, The Playlist prend le parti de consacrer chacun de ses six épisodes à une personnalité distincte qui a écrit l’histoire de l’entreprise, afin de tisser un récit pluriel, forcément fictionnel, mais voulant coller au plus près de la création de cette entreprise‑monstre.
L’aventure commence évidemment avec Daniel Ek, futur PDG, alors jeune développeur à la langue bien pendue qui avait accumulé un petit pactole en ayant déjà vendu plusieurs de ses boîtes dès ses 23 ans. Une dégaine de looser mais des idées qui visent juste. Si celui‑ci reste omniprésent d’un bout à l’autre de la série, il laisse la place à d’autres noms, moins connus : Martin Lorentzon, le co‑fondateur excentrique qui allongera les billets pendant les premières années, ou encore Petra Hansson, l'avocate qui aura réussi à convaincre les grandes maisons de disques de signer avec Spotify. Chacun a droit à son épisode et son point de vue, afin de révéler les multiples visages de Spotify, et parfois ses contradictions.
Back to 2000
C’est là que se trouve la grande force de la série : nous rappeler l’étrange contexte dans lequel Spotify a pu émerger. Nous sommes au milieu des années 2000 et le format MP3 comme les sites illégaux (en tête Pirate Bay, Suédois eux aussi, décidément) ont complètement bouleversé la façon dont la musique est écoutée, et surtout consommée. Et alors qu’un bras de fer féroce se lance entre maisons de disques et ardents défenseurs du piratage, Daniel Ek a le nez creux en essayant d’imaginer un improbable entre‑deux : tous les avantages du piratage (la disponibilité et l’immédiateté) mais délestés de tous les défauts (l'illégalité et l'impraticabilité).
Tout disrupter
Une équation fragile quand il lance Spotify en 2006, sans réel business model, et qu’il aura toutes les peines du monde à se vendre auprès des majors, complètement opposées à l’idée d'une musique « gratuite ». The Playlist dépeint cette impossible conversation entre une industrie en crise et une bande de jeunes aux dents longues qui rêvent de tout disrupter, et le travail de sape qui aura été nécessaire pour démocratiser le streaming.
Non sans une certaine distance de la part de la série d'ailleurs, qui sait jongler intelligemment entre le récit grisant d’une success story mondiale et la critique sans fard d’un entrepreneur et de son équipe qui ont vu une opportunité de se développer dans un marché musical déjà exsangue en se présentant comme un mal nécessaire, mais légal. La série ose même, dans son dernier épisode, aller dans le domaine de la pure fiction, un futur proche qui imagine une remise en question politique du modèle de Spotify, taclant les rémunérations rachitiques que Spotify donne à ses artistes (pour mémoire : environ 3 € pour 1 000 écoutes !). Certains reprocheront à The Playlist ce militantisme affiché, celui‑ci a toutefois quelque chose de rafraîchissant et contrebalance astucieusement la complaisance de certaines séquences qui embellissent et simplifient un peu la création de la plateforme.
Des maladresses
Pourtant, difficile d'encenser complètement The Playlist quand s’achève son sixième épisode. Loin d’être réalisée par David Fincher, la série tente de faire de son mieux malgré son mini budget mais se prend souvent les pieds dans le tapis quand elle essaie d’avoir un peu de style. Certains épisodes pâtissent tout particulièrement d’exercices de style pénibles : celui dédié au développeur Andreas Ehn est particulièrement lourdaud avec voix off agaçante de geek timide et effets visuels qui embarrassent (pourquoi encore et toujours du binaire qui flotte à l’écran quand on parle d’informatique ?). Ailleurs, l’épisode de l’avocate essaie d’aligner les longs plans‑séquences chorégraphiés au millimètre. Mais sans aucun propos derrière ces exercices de style, la réalisation devient rapidement tape‑à‑l’œil et maladroite. Même regrets sur certains dialogues, parfois maladroitement écrits et interprétés (particulièrement dans les deux derniers épisodes), et qui semblent répéter de manière monotone les mêmes idées et débats d’un bout à l’autre de la saison, alourdissant les cinq petites heures de la série de véritables longueurs.
Difficile donc pour la série de marquer les esprits au‑delà de ses lieux communs sur « la folle montée d’une petite boîte ». Un manque d'identité qui voit The Playlist s'effacer, en fin de compte, au milieu des nappes d'algorithmes Netflix… Dommage.