Mank
Mank, la nouvelle réalisation de David Fincher (Gone Girl, Seven, The Social Network) est proposée sur Netflix depuis le 4 décembre. Le long métrage filmé dans un splendide noir et blanc s’attache aux tribulations du scénariste Herman J. Mankiewicz lors du développement du script du Citizen Kane d'Orson Welles. Un scénario chef‑d’œuvre co‑crédité et co‑oscarisé avec Welles mais que Mankiewicz aurait pourtant écrit seul.
En 1940, Orson Welles se voit signer un blanc‑seing par la RKO en difficulté. Herman J. Mankiewicz, scénariste talentueux (Vainqueur du destin, Secret de femme), artiste acide et alcoolique, entame son travail dans les pires conditions. Il se remet péniblement d’un accident de voiture qui lui a laissé une jambe dans le plâtre. Isolé dans une villa avec une secrétaire patiente et privé de tord‑boyaux à la demande express de Welles, Mankiewicz alias Mank (Gary Oldman) entreprend un scénario dessinant un complexe et peu amène portrait d’un baron de la presse, William Randolph Hearst (Charles Dance), qu’il connaît bien. L’œuvre très insolente qui émerge trouve ses racines une décennie plus tôt, à un moment où Mank fréquentait la table de Hearst et nourrissait une romance platonique pour Marion Davis (Amanda Seyfried), la maîtresse du magnat.
Mank est un film assez compliqué à appréhender. Né d’un script signé par Jack Fincher, le père du réalisateur, dans les années 90, David Fincher espérait le tourner juste après The Game. Le destin en a voulu autrement : le père du cinéaste est mort en 2003, Fincher fils a enchaîné avec Fight Club puis Panic Room, et le scénario de Mank, très inspiré d’un écrit de l’influente sinon toujours pertinente critique Pauline Kael, a été retouché.
Aborder Mank s’avère une expérience un peu âpre en raison d’un enchevêtrement d’allusions visuelles, de dialogues très riches et d’une double narration temporelle (Mank dans les années 30 et Mank au moment de la rédaction du script dix ans plus tard). Mank fait d’innombrables évocations à Citizen Kane, tant dans l’éclairage, le montage que dans des détails d’image (l’éléphant en glace). Les salves de clins d’œil et hommages esthétiques et cinématographiques sont si nourries que le regard, de surcroît ravi par la somptueuse photographie noir et blanc d’Erik Messerschmidt (Mindhunter, Sicario la guerre des cartels), s’égare souvent. Et c’est un piège car, pendant ce temps, les dialogues extrêmement denses fusent et analysent tout à la fois les regrets, les failles et les constats cyniques de Mankiewicz. Autant d’éléments moteurs à la chronique même ainsi qu’à la psychologie complexe du héros.
Cette baroque orfèvrerie visuelle et narrative impose donc une attention très soutenue au spectateur, sans toujours lui laisser le temps d’un peu cogiter sur ce qu’il vient de voir (fabuleuse scène du dîner chez Hearst, impeccablement incarné par Charles Dance). Là est sans doute le principal défaut de Mank : ne jamais ralentir son tempo, ne jamais offrir une respiration pour faciliter la compréhension, laisser mûrir la réflexion contrairement à ce qu’avait sû faire Fincher pour d’autres histoires sophistiquées, qu’il s’agisse de Fight Club ou surtout Zodiac.
Car, pour le reste, on est soufflés par la précision de la scénographie ainsi que par un casting parfait, particulièrement Gary Oldman et la lumineuse et pétillante Amanda Seyfried. Loin d’être un objet d’intérêt pour les seuls cinéphiles, Mank aborde aussi des thématiques très actuelles sur le pouvoir, la propagande, les faux semblants et les compromissions qui trouvent un fort écho dans les péripéties politiques très récentes des États‑Unis. Mank n’est pas forcément un chef‑d’œuvre à l’égal de Zodiac mais il faudra sans doute plusieurs visionnages pour en tirer toute la moelle.