Grégory
Trente‑cinq ans après, que raconter de neuf sur l’affaire Grégory ? L’atroce assassinat d’un garçonnet de 4 ans, le 16 octobre 1984 à Docelles dans les Vosges, est devenu à la fois le plus ahurissant feuilleton et le plus cruel ratage de l’histoire de la justice française.
En attaquant cette mini‑série documentaire Netflix en cinq épisodes, le réalisateur Gilles Marchand et la journaliste Patricia Tourancheau ‑qui a scénarisé Grégory‑ ont donc pris le risque d’évoquer un fait divers dont tout le monde croit connaître les tenants et les aboutissants. Le pari était d’autant plus risqué que la mini‑série, bien que riche de nombreux témoignages, n’offre aucune interview sensationnaliste des acteurs clés. Pas d’entretien avec Jean‑Marie et Christine Villemin, les parents de la victime. Pas plus de prise de parole face caméra de témoins capitaux, entre autres Murielle Bolle ou les époux Jacob. Oui, que raconter de neuf sur l’affaire Grégory ?
La mini‑série Grégory propose déjà ‑et ce n'est pas rien‑ une lecture limpide, linéaire et cohérente d’un drame rendu ultra‑complexe par d’inextricables haines familiales, une avalanche de cafouillages judiciaires et des manipulations médiatiques en série. Que l’on ait, ou pas, des connaissances sur le fait divers, les principaux événements et péripéties, tous les principaux « personnages » sont posés, présentés, expliqués. En toute clarté.
Grégory fait aussi parler de nombreux protagonistes du drame : les responsables d’enquêtes (le colonel Sesmat pour la gendarmerie et le commissaire Corazzi, chef de la PJ de Nancy à l’époque). La plupart des avocats et des journalistes sur place (Denis Robert pour Libération, Isabelle Baechler pour Antenne 2, Jean Ker pour Paris Match et Marie‑France Bezzina), eux aussi, s’expriment.
Et les nouveaux éclairages pleuvent. Jean Ker, qui enregistrait toutes ses conversations, démontre les fausses paparazzades montées avec le juge Lambert, l'extrême proximité journalistes/avocats et évoque la nuit où il aurait, une première fois, sauvé la vie de Bernard Laroche. L’ex‑colonel de gendarmerie Sesmat évoque sans gant comment, pour prendre un congé, le juge d’instruction Lambert a refusé de pousser l’interrogatoire ou même protéger Murielle Bolle qui venait pourtant d’incriminer Bernard Laroche. L’ex‑commissaire Corazzi reconnaît, lui, les manœuvres en coulisses pour dessaisir les gendarmes au profit du SRPJ de Nancy et en profite pour livrer d’assez révoltantes considérations sur le pouvoir de séduction de Christine Villemin.
On voit aussi clairement les manœuvres honteuses et sans tact de journalistes agissants en meute sur place. Parmi eux, absent des témoins, mais représenté par sa femme Marie‑France, le journaliste Jean‑Michel Bezzina prend cher. Il écrivait à l’époque, sous différents pseudonymes, pour pas moins de huit médias ultra‑influents (RTL, JDD, Parisien, Figaro…). Et il a clairement œuvré, avec des avocats et le SRPJ de Nancy, pour que la thèse de la culpabilité de Christine Villemin infuse dans l’imaginaire collectif et surtout dans l’esprit influençable du juge Lambert…
Denses, ordonnés, ces témoignages sont épaulés par des archives peu vues : la méticuleuse seconde reconstitution du crime organisée par le juge Simon après le limogeage du juge Lambert. Ou encore le « making of » de la séance photo vendue à Match après la libération de Bernard Laroche, pourtant encore sous contrôle judiciaire.
Au bout de cinq palpitants mais consternants épisodes, aucune conviction sur la culpabilité de tel ou tel protagoniste. Mais la certitude douloureuse et amère que justice n’a jamais été rendue à Grégory Villemin et ses parents à la suite d’un dérèglement collectif où l’équité et l’intégrité ont, trop rarement, eu droit de cité.