Redacted
Il faut d’abord se réjouir que Brian De Palma, dont la phase d’assèchement commençait à s’éterniser (voir les récents Femme fatale et calamiteux Dahlia noir), se coltine à nouveau à la réalité politique de son pays (ici la guerre en Irak) dont il fut, via l’assassinat de Kennedy notamment, l’un des meilleurs exégètes sinon théoriciens. La manipulation des images, le travestissement, le trucage de la réalité, la fabrique de l’Histoire, De Palma connaît cela par cœur. Greetings, Blow Out ou encore Mission impossible comptent parmi les films les plus intelligents (et définitifs) jamais réalisés sur ces questions qui occupent encore les esprits.
Redacted, qui raconte le viol et le meurtre (réels) d’une jeune Irakienne par une bande de soldats US en poste à Samarra en 2006, reprend la ligne depalmienne du brouillage fiction/réalité. De Palma part d’événements réels mais les reconstitue intégralement sous la forme d’un collage de 90 minutes, enfilant faux journaux intimes tournés en caméra DV, faux spots de propagande, faux flashs TV, fausses images de blogs et de caméras de surveillance, faux documentaires réalisés par des Français qui auraient trop vu les films de Kubrick… Parti pris séduisant, mais quid du résultat ?
La forme se veut contemporaine parce qu’on y mélange des images de sources multiples. Fini le temps d’un cinéma nécrophile exhumant l’œuvre de papa (Hitchcock, Lang) pour l’enterrer deux fois. Le moment est venu de se réapproprier toutes ces images vidéo qui, à force de proliférer à l’ombre du septième art, ont fini par le fragiliser. Pourtant, Redacted n’est qu’un remake cheap et didactique d'Outrages (dont il reprend littéralement certaines séquences), film à gros budget lui aussi centré autour du viol d’une Vietnamienne en 1969, et qui comportait déjà les mêmes défauts (simplisme de la vision et des personnages, mélange incongru d’effets de thriller et de film de guerre).
L’échec du film ne tient pas seulement dans la banalité du constat dont il accouche : la guerre c’est mal, ça fait des morts, ça fabrique de l’impunité, merci Brian. Il tient surtout dans la négation progressive d’une forme kaléidoscope (éclatement des points de vue) qui, plutôt que d’ouvrir à une complexité voire à une analyse politique d’un conflit surmédiatisé (quelle perception de l’actualité à l’heure de la saturation des images et, via le Web, de leur nature immédiatement intime ?), finit par produire le récit classique et linéaire d’un scandale de guerre.
Redacted n’est pas le Rashomon de la guerre en Irak. Des tombeaux de preuves mais au bout du recollage et deux constats incompatibles : la vérité n’existe plus (trop de versions des faits tue les faits eux-mêmes) et elle existe (pas de doute sur les coupables interrogés par De Palma lui-même à la fin du film). Et puis, ces fausses petites bandes documentaires sont tellement bien refaites et cadrées que l’illusion du direct, de l’approximation, de l’amateurisme, s’effondre très vite et le film, tranquillement, retourne dans le champ balisé de la rhétorique hollywoodienne avec son filmage, toujours juste et impeccable, et ses acteurs qui jouent (c’est là tout le problème) comme s’ils tournaient dans un blockbuster hollywoodien basique. Volontaire !, direz-vous, puisque celui qui est cadré se croit toujours obligé de se représenter, puisque Redacted consiste précisément en un gigantesque pastiche de la guerre filmée. Certes, mais pas très intéressant. Redacted ? Une montagne théorique qui accouche d’une petite souris didactique.