Le soldat dieu
Le vétéran japonais Koji Wakamatsu, cinéaste activiste et enragé, fondateur du pinku politique (sorte de cinéma rose mais engagé) et auteur du récent United Red Army, signe ici son centième film. Chez le réalisateur de Sex Jack ‑c’est son côté pasolinien‑ sexe et politique ont toujours fait bon ménage, le premier servant de Cheval de Troie au second, depuis Quand l’embryon part braconner (1966) jusqu’à ce soldat qui, de retour de la guerre sino‑japonaise, muet et amputé de ses quatre membres, n’a plus que son sexe pour exprimer sa colère.
Wakamatsu reprend et creuse la ligne de L’embryon (affrontement en huis clos entre un homme et une femme/rapports de maître à esclave), même s’il opte pour une mise en scène en apparence plus assagie. Pourtant, la séquence au cours de laquelle la femme exhibe dans une brouette, à des paysans en pâmoison, sa larve de mari, jouissant ainsi d’une humiliation (la haine) qu’elle maquille en glorification (la dévotion et la raison d’État), compte parmi les images les plus glaçantes jamais filmées par son auteur.
Comme dans l’essentiel des films de Wakamatsu, Le soldat dieu établit un rapport de causalité, sinon central, en tout cas incontestable, entre la reddition du Japon à l’issue de la Seconde guerre mondiale le 2 septembre 1945 et l’état végétatif de ce soldat devenu freak tyrannique et libidineux. En contraignant sa femme à des rapports sexuels fréquents ‑métaphore d’une guerre continuée en secret et sur le tatami‑, le monstre du film constitue l’ultime avatar de l’homme wakamatsien : ni coupable, ni victime, mais plutôt sacrifié, si souvent poussé à réaffirmer dans la violence et l’abus de pouvoir une virilité symboliquement entamée par la défaite inaugurale de 1945 et le traité de sécurité nippon‑américain signé six ans plus tard. Un film dur, peu aimable mais passionnant.