Shutter Island
Nulle part. Image blanche comme neige. Un ferry sort lentement du brouillard. À son bord, Teddy Daniels (Leonardo DiCaprio) et Chuck son assistant, deux marshalls en route pour Shutter Island, l’île des fous et asile pénitentiaire, s'apprêtent à enquêter sur la disparition d’une patiente.
Ambiance L’île noire de Hergé revisitée par L’île des morts du peintre Böcklin. Le décor est planté, véritable coup de génie du film. À peine débarqués sur les lieux, les deux hommes croisent la faune locale : des malades terrifiants, des matons qui rappellent les heures sombres de la Gestapo et des scientifiques (Max von Sydow et Ben Kingsley) dont on ne serait pas étonnés d’apprendre qu’ils sont aussi (ou furent ?) des tortionnaires. Et puis, il y a ces orages, ces éclairs qui zèbrent le ciel, ces bâtiments inquiétants, ces cryptes, ces indices que l’on peine à interpréter, ces flash‑back d’une mère et de ses enfants noyés, et même une reconstitution de la libération du camp de Dachau.
Adapté d’un roman de Dennis Lehane (Mystic River, Sliver), Shutter Island tient tout entier dans son twist final qui séduira les amateurs du Sixième sens et laissera les autres sur le carreau. Scorsese, en plein trip gothico‑baroque, en profite surtout pour rendre hommage à son cinéaste de chevet, Michael Powell, le réalisateur de Narcisse noir et des Chaussons rouges, dont on trouve ici partout des traces.
Ben Kingsley et Leonardo DiCaprio, dont la prise de poids commence à inquiéter, cabotinent à l’envi et l’ensemble, en dépit d’une somptueuse photographie et d’une séquence d’ouverture à tomber, ressemble à un pudding kitsch et pluvieux. L’histoire, aux mille tiroirs, évoque enfin ces films fantastiques espagnols (L’orphelinat) qui, à force de coups de théâtre et de détails très importants mais indéchiffrables, finissent par lâsser. Un tout petit Scorsese.