Yannick
En pleine représentation de la pièce d’un très mauvais boulevard intitulée Le Cocu, Yannick, un spectateur, se lève et interrompt la représentation pour se plaindre de sa qualité médiocre.
Du cinéma tout court ?
Nous n’allons pas épiloguer sur la durée de ce nouveau film signé Quentin Dupieux qui, si on lui retire ses génériques de début et de fin, et un plan fixe final interminable, ne doit pas dépasser les 59 minutes, soit la durée d’un court métrage, selon la définition officielle du CNC. Chacun jugera.
Reste que comme le réalisateur répète à longueur d’interviews que ses films ne durent que le temps des choses qu’il a à dire, pas plus, pas moins, on peut objectivement se demander si avec Yannick, il avait beaucoup de choses à nous raconter hormis l’envie de partager l’un de ses fantasmes de spectateur, sans doute assez commun d’ailleurs.
Cela dit, ne soyons pas trop durs avec le réalisateur de Au poste !, Daim, Incroyable mais vrai ou encore Mandibule, cette économie de pellicule lui permet de quasiment égaler Amélie Nothomb dans la régularité de sa production artistique.
Passé le plaisir de voir un casting trois étoiles s’amuser dans un univers poético‑branchouille au charme fou, il faut bien l’avouer, ce Yannick laisse un peu de marbre. Le film fait indubitablement sourire, certes. Raphaël Quenard est génial, Pio Marmaï, presque autant, la direction artistique aux petits oignions, mais au final, on reste sur sa faim. Mais également sur sa fin tant la conclusion de cette aventure est tout de même bien décevante.
Dupieux et du moins bon
D’autant plus que ce Yannick avait le potentiel d’un Dupieux hors normes (pour qui apprécie son univers). À la fois absurde et totalement ancré dans la réalité, d’une acuité très fine sur la place du spectateur dans la création artistique, le film a des faux airs des Blier des années 80/90, le souffre de cette époque en moins. Il avait tout pour être le grand film, à la fois drôle et introspectif.
Malheureusement, le réalisateur survole son sujet. Ce qui était tout à fait acceptable dans ses derniers films conceptuels (que se passe‑t‑il si je trouve une mouche géante ? Que se passe‑t‑il si je trouve une trappe dans ma cave permettant de remonter le temps ?), de purs divertissements jubilatoires, l’est beaucoup moins ici.
Le moment de bascule où le personnage de Pio Marmaï s’aperçoit qu’on lui vole son public avait un potentiel énorme. Le syndrome de Stockholm artistique est‑il possible ? Voilà une sublime question de cinéma qui n’est pas assez exploitée. En quelques plans, les blessures de l'ego apparaissent, la vulnérabilité des acteurs face au public, aussi. Le film questionne étrangement la légitimité d’une certaine violence et la passivité. Il interroge aussi le mépris de classe du petit monde de la culture dans une mise en abyme assez sincère pour être remarquée. Est‑ce du cynisme ou de la satire ? La question reste tout de même un peu en suspens… Dupieux se contente de poser des pistes sans jamais aller bien loin.
On aurait également aimé que les deux personnages féminins ne soient pas autant en retrait. C’est dommage de faire appel à Blanche Gardin pour une ou deux vannes, et déjà vues dans la bande‑annonce. Quant à Agnès Hurstel, c’est à se demander si le monteur avait une dent contre elle. Certes, le film fut tourné en six jours, mais tout de même.
Au final, l’histoire retiendra que ce Yannick fut un succès salles indéniable et c’est tant mieux tant il représente une proposition de cinéma rare. Mais elle retiendra aussi un exercice un peu court. Certains y verront une jubilatoire et saine frustration, d’autres un gentil foutage de gueule. À vous de voir (ou pas).