Delicatessen
Dans une France post‑apocalyptique, la vie d’un des habitants d’un immeuble de banlieue dressé au milieu d’un terrain vague. Un jour, Louison, un ancien clown engagé par un boucher ogre comme homme à tout faire, va découvrir l’amour.
Jeunet joli
Crevons tout de suite l’abcès : oui, le premier film du duo Marc Caro/Jean‑Pierre Jeunet (La cité des enfants perdus) a quelque peu vieilli. Mais ce n’est pas bien grave, cela ne lui va pas si mal que cela, en fait. Avec le temps, le film aux quatre César a pris une très belle patine (merci la 4K) et s’est embelli d’une touche romanto‑poétique supplémentaire. Là où on voyait surtout un film étrange, punk, rétro‑burlesque, magique et fantasmagorique, sublimé par une image étrangement dorée, et seulement ensuite, sa poésie, aujourd'hui, c'est l’inverse. Delicatessen a depuis fait école et ce qui faisait sa différence ne choque plus. Les nouveaux spectateurs seront certainement surpris en découvrant combien il fut précurseur à une époque où le numérique balbutiait et où la grammaire cinématographique et scénaristique ronronnait.
On regarde donc Delicatessen avec un œil plus attendri. Si le film a pris de l’âge, il est surtout devenu intemporel et fait désormais partie de l’histoire du cinéma, du moins hexagonale. On se rappelle tout de même qu’il a mis sur orbite, en une scène de coït métaphorique, la toute jeune comédienne Karine Viard, influencé plus d’un directeur de photo et permis à Jean‑Pierre Jeunet de réaliser par la suite le Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Véritable claque esthétique à l’époque de sa sortie, le film l’est d'autant en version 4K Ultra HD remasterisée (supervisée par Jean‑Pierre Jeunet). D'autant que rien ne vaut l’original, face aux nombreuses copies qui pullulent sur les écrans depuis sa sortie…
Tout est bon dans le cochon !
Certes, le scénario décousu peut être perçu comme un effilement de scènes‑sketchs sans réelle cohésion, juste propices à de belles images de cinéma (la danse, les égouts, l’Australien…) et de délires horrifiquo‑comiques. Mais au final, c'est un film quasi impossible à oublier. L’histoire se tient, juste un peu brinquebalante. C’est aussi ce qui fait le charme de Delicatessen, toujours sur le point de rompre, sans jamais y parvenir.
La fantaisie et l’audace du film fonctionnent encore plus de trente ans après sa sortie. À la manière des Chaplin, Tati, Buster Keaton ou Méliès dont le film s’inspire largement, il s’est bonifié. On le regarde maintenant avec le cinéma d’aujourd’hui dans les yeux, en se disant que le rythme est lent, qu’il y a pas mal de maladresses, mais charmé par l’exploit que représente de réaliser un tel (premier) film, en 1991. Charmé de se rendre compte que beaucoup des réalisateurs appréciés aujourd’hui lui doivent tant (Wes Anderson, David Fincher, Dupontel). On regarde chaque plan en imaginant les trésors d’ingéniosité qu’il a fallu, à l’époque, pour les réaliser en se disant que tout fut pensé dans les moindres détails.
Il n’y a rien à jeter dans Delicatessen, juste à savourer l’imagination au pouvoir…