Dune
Flashback pour commencer ou l'histoire chaotique de Dune au cinéma. Retour en 1975, quand la fine fleur des illustrateurs et plasticiens SF (Jean Giraud, Dan O'Bannon, Hans‑Ruedi Giger, Chris Foss), à qui l'on doit aussi bien les univers graphiques de Star Wars, Alien, Blade Runner que Total Recall, sont appelés par Alejandro Jodorowsky (El Topo, La montagne sacrée) à participer à un projet dantesque : adapter Dune de Frank Herbert (1965) au cinéma.
Une aventure incroyable parsemée d'embûches née dans la tête du producteur français Michel Seydoux (le grand‑père de la comédienne Léa Seydoux) qui va fédérer autour de lui et du réalisateur Jodorowsky des comédiens de tous poils, de Mick Jagger à Orson Welles en passant par Amanda Lear ou encore David Carradine. Côté musique, les groupes Pink Floyd et Magma sont invités à créer l'univers sonore et planant du film. Reste à trouver 5 millions de dollars pour finaliser le budget. Les studios hollywoodiens se montrent malheureusement très frileux face au tempérament de feu de Jodo qui ne manque pas d’idées : il souhaite engager Dali comme décorateur et interprète de l’Empereur. Mais l’aventure tourne court, Hollywood reprend ses billes et Dali déserte le projet. Une aventure incroyable retracée dans le documentaire Jodorowsky's Dune de Frank Pavich en 2013 (disponible chez Carlotta), seule trace de ce film de rêve qui n'existe pas.
David Lynch va jusqu'au bout
Trois ans plus tard, Dino De Laurentiis rachète les droits du roman et propose à Ridley Scott la réalisation, lequel demande à son ami scénariste Randolph Wurlitzer de travailler le script. Mais celui‑ci introduit une idée (Paul et sa mère ont une relation incestueuse) qui mettra un terme à cette seconde tentative. Scott s’engage sur le tournage de Blade Runner et Dino De Laurentiis, sur les conseils de sa fille Raffaella qui a adoré Elephant Man, contacte David Lynch. Ce dernier accepte et signe un contrat qui stipule qu’il réalisera trois Dune de suite et qu’en contrepartie, la société de De Laurentiis l’aidera à financer deux projets : Blue Velvet et Ronnie Rocket (l’histoire d’un petit bonhomme d’un mètre cinquante fonctionnant au courant alternatif). En 1984, la première adaptation cinéma de la fresque SF magistrale et sublime de Frank Herbert signée David Lynch sort sur les écrans. Un film doté d'images grandioses mais particulièrement touffu.
Effets optiques made in Mexique
C’est en mai 1981 que David Lynch commence en réalité la pré‑production de Dune. De multiples versions du script sont ainsi écrites par Bergren, De Vore et Lynch, avant que le studio ne donne enfin son accord à la fin de l’année 1982. Au même moment, David Lynch s’intéresse de très près à l’adaptation du roman noir de Thomas Harris, Le dragon rouge (qui sera finalement réalisé par Michael Mann sous le titre Le sixième sens). De leur côté, Carlo Rambaldi, responsable d’E.T, et Al Whitlock, orfèvre du matte painting (on lui doit ceux des Oiseaux de Hitchcock), sont embauchés pour les effets spéciaux. Les effets visuels seront d’abord confiés à la société de John Dykstra, laquelle sera remerciée avant d’être remplacée par la société Van der Veere. Mais contre l’avis des techniciens, Raffaella De Laurentiis (qui a en charge la production du film) décide de réaliser la plupart des effets optiques au Mexique. Les résultats seront catastrophiques : incrustations ratées, découpes grossières, contours visibles...
La production connaîtra certes d’autres mésaventures mais les prises de vues débuteront en mars 1983. À quelques mètres du tournage, un autre obstacle attend Lynch : Richard Fleischer a planté ses caméras et tourne de l’autre côté des dunes de sable la suite de Conan le Barbare… Dune sera un fiasco financier et les deux suites prévues au cinéma (Le messie de Dune et Les enfants de Dune) n'auront pas lieu. Et Lynch jura que jamais plus jamais, on ne lui enlèvera le final cut et la maîtrise totale d'un film. Bien lui en a pris.
Denis Villeneuve, un travail de longue haleine
Un historique important à rappeler tant il justifie à lui seul la réputation de récit inadaptable au cinéma des romans et montre à quel point Denis Villeneuve a pris à bras‑le‑corps un projet monstre mais passionnant. Quatre années de travail et 165 millions de dollars de budget plus tard, il ne faut que quelques secondes pour être déjà convaincu qu’il se passe quelque chose de l’ordre du miracle cinématographique. À la fois poétique et effrayante, intense et majestueuse, la plongée dans l’univers de Dune, rythmée par la partition puissante d’un Hans Zimmer des grands jours, est saisissante.
Tout commence en l’an 10191 de notre ère. Des dynasties convoitent l’Épice, une source d’énergie d’une puissance inégalée que l’on ne trouve que sur une planète totalement désertique et particulièrement hostile. Parmi les protagonistes, le jeune Paul Atréides, incarné par Timothée Chalamet, va se rend compte qu’il aura un rôle crucial à jouer.
Un film, une mythologie
Sorte de version pour adultes de La guerre des étoiles pimentée d'un soupçon de Game of Thrones (les ponts entre le film et la série sont nombreux), Dune 2021 raconte une fois de plus le grand sujet phylo‑psy qui traverse toute l'histoire de la SF et l'heroic fantasy : la quête du moi et de son humanité à travers celle des territoires. Les romans sont d'une richesse telle que ce premier long métrage prend la forme quasi obligatoire d'un préambule d'exposition géant destiné à ancrer sa mythologie, ses personnages et les enjeux à venir. Pour cela, il enchaîne les passages obligés et opère quelques coupes ou plutôt des raccourcis nécessaires, forcément.
La scène la plus dépouillée du film est aussi la plus belle
Un mot sur les acteurs, tous extraordinaires, de Timothée Chalamet à Jason Momoa en passant par Oscar Isaac, Rebecca Ferguson, Stellan Skarsgard, Zendaya (son rôle va grandir au film des films), Josh Brolin et l’incroyable Charlotte Rampling. La séquence de confrontation entre la comédienne et Chalamey est d’une simplicité saisissante dans sa forme et pourtant d’une puissance rare. Rampling est impériale, Chalamet étourdissant. Un extrait à montrer dans toutes les écoles d’acting.
À la recherche de l'émotion
Au final, si le metteur en scène se fait visiblement plaisir en prenant le temps (parfois trop) de filmer cet univers qu'il maîtrise à la perfection avec un sens du cadre inouï et des plans d’une beauté stupéfiante (les décors sont réels pour la grande majorité d'entre eux), il n’oublie jamais de partager ce plaisir en filmant des séquences d’action d’anthologie où les effets spéciaux numériques et mécaniques sont tout simplement parfaits. Évidemment, il imprime ses propres thèmes à la vision de Frank Herbert : écologie, filiation, guerre des territoires… ou quand fond et grand spectacle ne font plus qu'un. Villeneuve réussit coûte que coûte son pari (parfois pontifiant vu l'ampleur maousse des enjeux), appelant un deuxième film qui devra toutefois gagner en émotion et en nervosité pour marquer définitivement l'histoire du cinéma.