La belle époque
On n'avait pas vu film français si ambitieux et si abouti depuis un moment. À commencer par son scénario, tout droit sorti de l'imagination de Nicolas Bedos qui, à travers le délitement de la vie d'un couple de sexagénaires (Daniel Auteuil, Fanny Ardant, évidemment excellents), remonte le temps jusqu'au jour de leur rencontre, la « belle époque », celle où la technologie n'avait pas encore envahi nos vies ‑et surtout celle de Victor, ce dessinateur à l'ancienne qui ne trouve plus l'inspiration‑, celle où il ne sortait pas encore par les narines de sa femme, splendeur jamais fanée qui ne demande encore qu'à briller, celle où les rencontres de bistro faisaient tout le sel de votre journée. Un temps qui n'existe plus mais reste enfoui dans les souvenirs.
Comment y retourner ? Comment montrer ce temps révolu sans l'aide de flashback (bien trop simple pour Bedos) ? Comment montrer le passé sans avoir recours ni aux effets spéciaux ni au De‑Aging (principe utilisé par Scorsese par exemple pour rajeunir ses acteurs, voir The Irishman) ? Il fallait toute la fantaisie et l'inventivité de Bedos‑fils pour y parvenir, avec une idée a priori simple mais osée : la reconstitution historique mâtinée d'artifices de théâtre pour revivre sur commande une période rêvée de son passé. C'est ainsi que Victor (Auteuil), 60 ans, se retrouve propulsé dans le décor de sa jeunesse, alors qu'il allait rencontrer celle qui deviendra sa femme (Ardant). Une pièce de théâtre fictionnelle écrite dans les moindres détails à l'intérieur même du film, dont le premier rôle féminin revient à Doria Tillier (parfaite elle aussi), celle sur laquelle repose tout le principe d'immersion et compagne du brillant entrepreneur (Guillaume Canet) à l'origine de ce concept novateur, dirigeant son staff de comédiens, ses décorateurs et son équipe technique comme un Fellini en plein tournage.
Tout en douceur et subtiles métaphores, Bedos sonde à la fois le rapport entre un cinéaste et ses actrices (le couple Canet/Tillier), mélange avec malice réalité et fiction sur une unique temporalité, mais montre aussi et surtout une histoire d'amour sous un angle inédit, inventif et ingénieux. En un mot, brillant.