1917
Charles Baudelaire a écrit « La plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ». Loin de nous l’idée d'accoler Sam Mendes à Satan, mais il est à coup sûr le plus rusé des cinéastes. Et assurément un technicien hors pair. Avec son film en unique faux plan‑séquence qui a fait débat avant même sa sortie (on rappelle au passage que Snake Eyes et La corde reposaient déjà sur le même principe, tout comme Victoria, un film allemand de 2015 véritablement tourné en une seule séquence de 2h14 sans trucage ni coupure cette fois), il a malheureusement involontairement éclipsé l'histoire même du film, un projet très personnel pour Sam Mendes, qui livre ici un hommage à son arrière‑grand‑père, le caporal Alfred Hubert Mendes, dont les souvenirs de guerre ont hanté l'enfance du cinéaste.
1917 s’inscrit dans le sillage de deux soldats britanniques (George MacKay et Dean‑Charles Chapman, parfaits) qui se voient confier une mission de la plus haute importance mais suicidaire : apporter un message à des kilomètres de leur position au général en charge d'un assaut crucial. Un message qui pourrait éviter des milliers de morts à l’armée anglaise, mais aussi sauver la vie du frère d’un des deux soldats, enrôlé dans le bataillon qui s'apprête à donner l'assaut. La mission est d’autant plus périlleuse que le temps presse, et que pour rejoindre au plus vite le général en question, il faut traverser les lignes ennemies.
Pour donner l'illusion de son unique plan‑séquence, Sam Mendes (Skyfall, Spectre) s’est appuyé sur un immense directeur de la photo, Roger Deakins, et sur des décors recréés à taille réelle afin de laisser tourner les caméras le plus longtemps possible (généralement des prises de 7 voire 9 minutes). Et le résultat atteint parfaitement le but recherché : une plongée en apnée aux côtés des deux soldats, sans coupe apparente et surtout sans répit.
Avec ses séquences à la fois saisissantes (les longs travellings dans les tranchées rappellent ceux des Sentiers de la gloire de Kubrick), magnifiques (le champ de ruines et son jeu d'ombres effrayant) et parfois carrément émouvantes, comme la rencontre éclairée à la bougie juste avant la fin du film, 1917 parvient à mêler le fond et la forme dans un bel exercice de style même si le dispositif ‑extrêmement lourd à mettre en place, voir les excellents bonus‑ n'était pas forcément utile au film dans son intégralité. Une course contre la mort lancée à toute allure qui éclipse parfois le destin de certains personnages que l'on aurait aimé voir davantage (Colin Firth, Andrew Scott, Mark Strong, Benedict Cumberbatch et Richard Madden font de très courtes apparitions).
À défaut d’être un grand film en plan‑séquence, 1917 est un bon film avec de grands moments. C’est déjà pas mal.