Vernon Subutex
Comment adapter la trilogie punk de Virginie Despentes, rassembler les points de vue d'une bande de antihéros malmenés par la vie qui n'ont plus grand‑chose à voir avec leurs idéaux de jeunesse, retranscrire dans une série grand public l'ambiance glauque et sulfureuse de certains passages des trois romans qui, par ailleurs, ont chacun leur propre style, leur propre vie ?
C'est à cet immense défi que s'est attelé Cathy Verney (la série Hard de Canal+). Après deux ans d’écriture solo, le scénariste Benjamin Dupas (Kaboul Kitchen, Dix pour cent) la rejoint pour deux années supplémentaires. Ce qui, si on compte bien, nous fait quatre longues années d'étude de texte pour 9 épisodes de 37 minutes. Soit la série est trop courte (et on le pense vraiment), soit Cathy Verney a gagné en clarté et simplification du récit ce qu'elle a perdu en intensité et en liberté (on le pense aussi). On ne lui ne veut pas pour autant car sa vision de la trilogie de Despentes se tient et se défend. Elle a même fière allure.
Tout commence quand Vernon Subutex, ex‑disquaire star des années 80 à la boutique légendaire, se retrouve à la rue. Avec son iPod, ses clopes et son sac, Subutex va se rappeler au bon souvenir de toute son ancienne bande (et de ses anciennes conquêtes) pour grappiller ici ou là des nuits au chaud. Il recroise Alex Bleach, un chanteur écorché devenu star qui va lui léguer un étrange testament vidéo, tandis qu'à l'autre bout de Paris, Dopalet, un producteur aux dents longues, fait pour d'obscures raisons appel à une tueuse de réputation qui se fait appeler « la Hyène »…
Première grande réussite de la série, son casting, à commencer par Romain Duris. Qui mieux que lui pour incarner les désillutions d'une époque (remember son premier film Le péril jeune) ? Habité, intense, captivant, il brûle la pellicule, à la fois dans sa lente déchéance (il finira par faire la manche dans la rue) que dans son réveil quasi christique, thème new age que Cathy Verney se garde bien d'aborder frontalement (quand elle commence à écrire, le deuxième roman n'est pas encore sorti). Pas de « convergences » à l'image donc, pas d'utopie collective portée par le son de Subutex aux platines faisant danser des hordes d'adeptes en transe. Une bonne partie de la substantifique moelle des romans de Despentes n'apparaît pas dans la série qui, tout à coup, nous semble immédiatement sage et formatée malgré quelques tentatives plutôt réussies (et drôles) de scènes à réserver à un public averti.
Les autres comédiens ne sont pas en reste : Céline Sallette restera à tout jamais l'image de la Hyène, Flora Fischbach celle de l'ingénue pas si innocente que cela (son histoire avec la Hyène est davantage développée que dans les romans, et c'est une réussite), Philippe Rebbot celui du scénariste raté qui a sauvé les meubles en épousant une petite‑bourgeoise, Florence Thomassin l'ex délurée cyclothymique, Laurent Lucas le producteur grande gueule prêt à tout. Un des écarts de la série par rapport aux romans le concerne d'ailleurs directement, un passage écarté pour son glauque abyssal.
Et c'est le grand hic de la série, sacrifiant sur l'autel des ressorts fictionnels l'atmosphère et l'énergie noires des romans. Son outrance aussi. Trop douce et trop rapide en besogne, Vernon Subutex la série manque encore d'ampleur et de vibrations cosmiques. Et si Canal+ enclenchait la deuxième, histoire de voir ce que Cathy Verney a réellement dans le ventre ?