Twin Peaks : the Return
Il nous a fallu du temps pour nous lancer. La crainte d'être déçu. Et puis le miracle. Voilà sans doute le seul mot capable de faire honneur à Twin Peaks : the Return. La seule façon de résumer la brillance inattendue de cette troisième saison venue de nulle part, chargée de donner suite, près d'un quart de siècle après son arrêt, à une série qui a bouleversé le paysage télévisuel, entre 1990 et 1991. Il fallait une audace folle au duo formé par David Lynch (Mulholland Drive) et Mark Frost pour oser se perdre à nouveau dans le petit monde surréaliste de Twin Peaks, qu'ils avaient brutalement laissé en suspend à l'époque avec un ultime épisode façon coup de tonnerre, ayant alors plongé les fans dans un impénétrable brouillard de questions sans réponses. Comment revenir après tant d'années ? Comment raccrocher les wagons narrativement et artistiquement ? Et comment surtout ne pas ébrécher à l'occasion la légende d'une série aussi unique ? La réponse : en allant ailleurs, en frappant à côté, en s'aventurant toujours plus loin, en osant se jouer des attentes et de la nostalgie pour propulser pleinement Twin Peaks dans le XXIe siècle.
Entièrement aux commandes de cette nouvelle saison (à l'inverse des deux premières, qui ont d'ailleurs pu souffrir parfois cruellement de son absence), David Lynch s'empare de la mythologie de Twin Peaks avec une audace vertigineuse, sans limites, capable de presque tout (de la comédie slapstick à la terreur psychologique). Ténébreux, taciturne jusqu'à l'excès, osant laisser s'étendre longuement des segments avant‑gardistes hallucinants à placer aux côtés des œuvres les plus folles de son créateur (Eraserhead ou Inland Empire en tête), The Return ne ressemble à rien de connu, et surtout pas à lui‑même. Le long de 18 épisodes d'une heure, pensés comme un seul et même film, Lynch prend tout son temps pour nous désorienter dans une inconfortable mais hypnotisante bulle d'abstraction et de mystères. Toute la beauté du geste est là, dans ce lent et impénétrable mouvement de « retour » vers les origines, vers Twin Peaks, symbolisé par l'odyssée de l'agent Dale Cooper, héros diffracté et perdu incarné en kaléidoscope par un Kyle MacLachlan n'ayant sans doute jamais aussi bien joué de sa carrière.
Et si la série s'enrichit d'une constellation de fascinants nouveaux personnages (dont ceux joués par Laura Dern ou Noami Watts, incroyable en mère de famille à la langue bien pendue), ce sont surtout les visages déjà connus qui donnent à cette nouvelle saison son aura émouvante, quasiment crépusculaire face à ces héros d'antan, transformés par les années. De Dana Ashbrook, jouant un Bobby Briggs passé du bon côté de la loi, jusqu'à la terrifiante Grace Zabriskie dans le rôle troublant de Sarah Palmer, tous ou presque sont là (dont certains disparus depuis tels Harry Dean Stanton, Miguel Ferrer ou Catherine E. Coulson), pièces éparpillées mais indispensables d'un grand puzzle impossible à compléter, où les moindres éclaircissements révèlent sans cesse de nouveaux abysses insondables.
Œuvre totale située à des kilomètres au‑dessus du reste du monde, Twin Peaks : the Return ne vous quitte jamais vraiment, même après ses troublantes dernières images, invitant sans cesse à la relecture maniaque, pour y trouver encore et encore de nouveaux détails et fragments. Incomparable, tout simplement.