par Jean-Baptiste Thoret
29 mai 2018 - 10h52

Matrix

VO
The Matrix
année
1999
Réalisateur
InterprètesKeanu Reeves, Laurence Fishburne, Carrie-Anne Moss, Hugo Weaving
éditeur
genre
notes
critique
8
10
label
A

Peu de films, et a fortiori de sagas, auront autant fait couler d’encre et délier les langues que la trilogie Matrix. Du grand public amateur de pop‑corn et de blockbusters calibrés aux universitaires les plus pointus, Matrix a touché un spectre d’une largeur rarement atteinte au cinéma. Quoi qu’on pense du succès artistique de la trilogie, que l’on considère qu’il s’agit d’un film de SF malin aux allures de pudding philosophique ou d’une œuvre maîtresse et intelligente, une chose est sûre, Matrix a excité nos neurones.

« Nous aimons les films d’action, les armes et le kung‑fu, déclaraient les cinéastes à l’époque de la sortie du premier volet en 1999, mais nous en avons assez des films d’action produits à la chaîne et vides de tout contenu intellectuel. Nous avons mis un point d’honneur à placer dans ce film autant d’idées que nous le pouvions. Nous nous intéressons à la mythologie, à la théologie et, dans une certaine mesure, aux mathématiques avancées. Ce sont autant de voies pour répondre à des questions importantes, et même à la Grande Question ! Si vous voulez raconter des histoires épiques, vous ne pouvez pas ne pas vous sentir concerné par ces thèmes. Les gens ne saisissent peut‑être pas toutes les allusions du film, mais ils en comprennent au moins les idées importantes. Nous voulions les faire réfléchir, les obliger à faire fonctionner leurs méninges ». Sur ce point, nul doute que le pari est réussi. Fable philosophique sur la notion de la réalité (la Matrice est‑elle la réalité ou son illusion ?), parabole religieuse (la foi comme valeur suprême, Matrix Revolutions s’achève sur cette idée), mini‑traité de mythologie et de mathématiques (l’obsession des chiffres, des équations, des diagrammes et de l'intelligence artificielle) et résistance politique (nous y reviendrons), la saga entière foisonne et regorge de pistes à suivre. Après la sortie de Bound (1996), leur premier film, rien ne nous avait préparés à ce projet pharaonique des Wachowski (devenus depuis Lana et Lilly, voir leur série Sense8).

Dès les premières séquences de Matrix, le ton est donné et l’ambition clairement affirmée. Allongé sur son lit, Neo (Keanu Reeve) entend frapper à la porte. Il se lève pour ouvrir et se munit d’une clé dissimulée dans un livre. Pas n’importe lequel : Simulacres et simulation de Jean Baudrillard, sans doute le livre matriciel de la trilogie avec Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll (voir le lapin du début). Une sorte de boîte de Pandore dont les Wachowski ont tiré l’essentiel de leur matière. D’un côté donc, la Matrice, univers des identités mouvantes. De l’autre, la planète Zion, gigantesque caverne où vivent les derniers humains. Autrement dit, le Système lisse et technologique contre son alternative tribale et primitive. Entre les deux, un trio d’électrons libres ‑Neo, Morpheus et Trinity‑ qui tentent de sauver leur planète des griffes de l’Empire. Car métamorphose et prolifération sont les deux qualités majeures de la Matrice, à l’image de l’agent Smith, son apparatchik exemplaire. Mais mener la guerre suppose de repenser l’opposition au Système (la Matrice), et par conséquent comprendre sa cartographie. Qu’est‑ce que la marge lorsque centre et périphérie se confondent ? Comment résister, tout simplement ?

Au départ, le dispositif est entièrement binaire, à l’image du monde de Lewis Carroll. Les serviteurs de la Matrice contre les dissidents, le logiciel contre le critique. Deux options donc, deux logiques guerrières. Une logique datée d’abord, qui croit encore à l’efficacité de la lutte depuis une position extérieure à la Matrice. C’est Zion avec ses habitants flanqués de grigris, de convictions mystiques et prêts à s’étourdir dans des raves techno‑préhistoriques (Matrix Reloaded). De ce point de vue, Zion incarne le tombeau de la contre‑culture américaine, sa version dégénérée dont on peut constater l’inefficacité de son mode d’action dans un monde devenu réseau (voir la bataille héroïque mais vaine contre les machines dans Revolutions). Neo, lui, incarne une autre logique, celle de l’infiltration. Logique extatique. Selon les mots de Baudrillard : « Lutter contre le système avec ses propres armes et le pousser jusqu’à son point de rupture ». Moins une explosion qu’une implosion. Pour Neo et sa bande, il faut circuler sans cesse. De Zion à la Matrice. Et vice‑versa. Il faut se réapproprier les lignes du réseau que l’on combat et détourner son mode d’emploi. Il s’agit d’expérimenter de nouvelles formes de résistance, avancer à vue et dans les airs, même si le film statue finalement sur la position la plus productive : la Source, point nodal et immaculé de la Matrice où Neo rencontre enfin le concepteur du système. Un architecte. Métaphore géniale de la pensée américaine, puisque là-bas, l’espace fait la pensée, et non l’inverse.

C’est alors la grande leçon politique du film : il n’y a de résistance efficace qu’au centre. Un principe qui fonde aussi bien la forme, hyper‑inventive, que la mise en scène, souvent brillante. D’ailleurs, la compréhension des enjeux narratifs et des perturbations du récit (assez complexes, il est vrai) passe de fait par une compréhension des mécanismes politiques en jeu. Le spectateur ne pourra jouir du spectacle qu’au prix d’un détour par la chose publique. En ce sens, la trilogie des Wachowski apporte à nouveau la preuve de l’incontestable puissance du cinéma américain et de certains de ses blockbusters, capables d’occuper toute la largeur du spectre, du majoritaire au minoritaire, du populaire au politique, parce que l’un ne va jamais sans l’autre.

Matrix, trilogie résistante en plein cœur de la matrice hollywoodienne.

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The Matrix
Tous publics
Prix : 29,99 €
disponibilité
23/05/2018
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1 UHD-66 + 1 BD‑50 + 1 BD‑25, 136', toutes zones
2.35
UHD 2 160p (HEVC)
HDR Dolby Vision
HDR10
16/9
bande-son
Français Dolby Digital 5.1
Anglais Dolby Atmos
Anglais Dolby TrueHD 7.1
Anglais Dolby Digital 5.1
Espagnol Dolby Digital 2.0
sous-titres
Français, anglais pour sourds et malentendants, néerlandais, espagnol
10
10
image

Ça commence dès le fameux générique avec ses lignes de code vertes, qui prennent quasiment un effet 3D sous l'impulsion de la 4K. Puis viennent les premières images et le début de l'effet « waooo ». 

 

Pas exempt de reproches (nous y reviendrons), le progrès est réel et nous pousse inévitablement à revoir le film de A à Z sous toutes les coutures, libres de pouvoir enfin apprécier chaque recoin de l'image, chaque détail auparavant passé inaperçu (les lignes de la matrice sur la cape de Morpheus lors d'un saut entre deux immeubles), mais aussi de profiter d'une tonalité plus noire davantage adaptée au propos crépusculaire du film avec des contrastes vraiment marqués (le film a été remasterisé sous la houlette du directeur photo et le HDR Dolby Vision fait largement son œuvre) qui nous font bien vite préférer cette version à la platitude et au rendu délavé (parfois laiteux) du Blu‑Ray. Les ombres sont appuyées, le niveau de noir nettement relevé, les (rares) touches de rouge (la femme en rouge, les gouttes de sang après le premier entraînement de Neo, le fauteuil capitonné de Morpheus) absolument éclatantes. Un bain de jouvence plein de relief et de force.

 

Revers de la médaille, le grain est aussi plus présent sans toutefois qu'il ne dégrade la définition générale. On s'explique. Tourné essentiellement sur pellicule 35 mm, le film a bénéficié d'un nouveau scan 4K d'une telle précision qu'il a aussi grossi le fameux grain argentique tant recherché par les cinéphiles. Au final, le rendu est loin d'être lisse, il a bel et bien conservé (et augmenté) son grain au passage. Cela se traduit par des arrière‑plans parfois mouvants et des visages logés à la même enseigne lorsqu'ils sont peu éclairés. Quant aux séquences fortes en effets spéciaux, elles apparaissent un peu lisses (parfois trop) puisque générées informatiquement à l'origine en 2K. Cela pourra agacer mais aussi séduire puisque la patine n'a pas totalement disparu et que cela ne prend jamais le pas sur l'apport indéniable de ce nouveau scan 4K. Jamais Matrix n'aura proposé un tel spectacle visuel. On valide. 

10
10
son

Méga claque en VO Dolby Atmos (Dolby TrueHD 7.1 pour les personnes non équipées). Qu'il s'agisse des combats dans le dojo, sur les toits, ou des scènes à bord du vaisseau, on frissonne devant l'ampleur et la puissance de cette nouvelle piste beaucoup plus adéquate que tout ce que nous avons auparavant entendu. Les effets hauteur sont remarquables et nombreux : cascades d'eau sous le pont, pluie, plongée dans la matrice, combats aériens, séquences bullet‑time incroyables avec les balles qui se matérialisent à côté de vous… Bref, c'est tellement riche sur cet aspect que cette bande sonore apparaît comme l'une des meilleures dans ce domaine.

 

De même, le caisson de basses est clairement de sortie avec Matrix 4K Ultra HD. Il participe grandement à la fête sonore. En même temps, les scènes calmes (dans le vaisseau de Morpheus par exemple) sont empreintes d'un doux ronronnement presque imperceptible qui donne du corps à l'ensemble. Enfin, dialogues et musiques sont toujours clairs. Et la dynamique toujours présente. Un must !

 

L'identité sonore du film étant fortement marquée, cette nouvelle densité et l'avalanche des effets offrent un très bel écrin au film, redoutable de puissance et de variété. Une expérience intense qui n'est pas du tout la même en simple VF Dolby Digital 5.1. Au‑delà des doublages, vraiment peu incarnés, le rendu paraît complètement éteint, plat, peu naturel et en complet décalage avec la nouvelle esthétique du film.

8
10
bonus
- Introduction écrite des Wachowski
- Commentaires audio du philosophe par le Dr. Cornel West et Ken Wilber
- Commentaires audio des critiques par Todd McCarthy, John Powers et David Thomson
- Commentaires audio générique et équipe par Carrie-Anne Moss, Zach Staenberg et John Gaeta
- Commentaires audio du compositeur Don Davis
- Intégralité du score, 41 titres (194')
- Clip Rock is Dead par Marilyn Manson (3')
- Matrix Revisited (123')
- Création de Matrix (43')
- Suivez le lapin blanc (23')
- La pilule rouge (18')
- Bandes-annonces et spots TV

Comme à l'accoutumée chez Warner, les commentaires audio ne sont pas sous‑titrés. On se rabattra sur les quatre gros modules dans les coulisses du tournage : Matrix RevisitedCréation de MatrixSuivez le lapin blanc et La pilule rouge (certains faisaient déjà partiellement partie de la précédente édition Blu‑Ray). Le bullet‑time inventé spécialement pour le film est décortiqué pas à pas (comme bien d'autres trouvailles du long métrage), mais c'est surtout l'occasion de suivre la production et le tournage d'un film monstre depuis ses coulisses, en mode petite mouche. Un passage immanquable pour tout fan qui se respecte malgré un aspect parfois décousu du montage et la redite de certains passages. 

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