We Blew it
« We did it, man. We did it, we did it. We’re rich, man. We’re reterin’ in Florida ». À son compagnon de route, Captain America objecte : « You know Billy, we blew it ». Nous sommes en 1969, Peter Fonda et Dennis Hopper parcourent l’Amérique en Harley, l’odyssée vertigineuse devient culte, portée par une bande originale logée à la même enseigne. Born to be Wild (Steppenwolf), concentré détonant de rock et d’énergie libertaire, élargit alors les frontières d’Easy Rider.
We blew it. Ces trois mots qui prophétisent la fin d’un voyage annoncent pourtant les prémisses d’un (road)‑trip à remonter le temps, un tracé de l’Amérique des utopies à nos jours par Jean‑Baptiste Thoret. Spécialiste du Nouvel Hollywood, l’ancien critique de cinéma a co‑écrit Road Movie, USA (2011) avec Bernard Benoliel. En 2013, il s’embarque dans un périple extraordinaire aux côtés de Michael Cimino (Michael Cimino, les voix perdues de l’Amérique) et s’impose immanquablement comme un cinéphile érudit et passionné avec des essais majeurs consacrés aux Seventies déceptives (Une expérience américaine du chaos : Massacre à la tronçonneuse, Le cinéma américain des années 70). C’est donc tout naturellement qu’il interroge cette Amérique tributaire d’un âge d’or, avant que l’espace des possibles ne s’érode suite aux métamorphoses politiques et sociétales.
Autant de réminiscences et de points de non‑retour que Michael Mann (Heat, Thief), Tobe Hooper, Jerry Schatzberg (Panique à Needle Park), Peter Bogdanovitch (La cible, La dernière séance), Bob Rafelson (Head, Five Easy Pieces) exposent, tandis que d’autres points de vue ‑des pro‑Trump aux anonymes déçus‑ se succèdent à la merci d’une route dense, éclatée, magnifiquement mélancolique et révélée en Cinémascope.