Au revoir là-haut
Après s’être mutuellement sauvé la vie dans les tranchées pendant la Première guerre mondiale, Albert (Albert Dupontel) et Edouard (Nahuel Pérez Biscayart) ont presque tout perdu, l’un sa femme et ses illusions, l’autre une partie de son visage et son envie de vivre. Armé de talents cachés et d'un sens inné de l'embrouille, le duo remonte non sans mal la pente dans un grand tourbillon de folie et de poésie.
Adapter au cinéma Au revoir là‑haut, prix Goncourt 2013 signé Pierre Lemaitre, était un pari très audacieux. 600 pages de costumes, de mise en époque, ornées d'une scène de bataille époustouflante, il fallait bien la vision artistique d’un Dupontel pour resserrer le scénario sans dénuturer l’histoire et livrer un tel film pour un budget de 20 millions d’euros, là où d'autres, outre‑Atlantique, auraient tout simplement refuser d’envisager la chose à moins de 140 millions de dollars…
Le résultat est aussi inattendu que lourd de sens pour le cinéma français. Pas une faute de goût dans les partis pris de Dupontel réalisateur (on ne parle même pas de l'acteur), qui a su s'entourer d'artistes remarquables lorsqu'il s'agit, notamment, de créer des masques fantasmagoriques ou reconstituer une image à l'ancienne, fruit d'un long travail de recolorisation. Le résultat est fabuleux et nous entraîne dans une histoire folle jusqu'à un final shakespearien à souhait.
Calé sur un récit merveilleux, Albert Dupontel a tempéré ses ardeurs pour servir les personnages d’un autre sans jamais renier son ADN et son style, foisonnant comme à l'accoutumée de références à la peinture et au cinéma (Amadeus de Miloš Forman, l'expressionnisme allemand, Chaplin, Apocalypse Now…). Alternant les scènes brillantes et drôles (le vol de morphine) et instants tragiques (les dernières séquences), Au revoir là‑haut trouve finalement son équilibre entre fantaisie pure et tragédie funeste, abstraction et dur retour à la réalité.
Reste une question : Dupontel a‑t‑il eu suffisamment de budget pour tourner le film qu'il souhaitait et que le roman de Lemaitre méritait ? À titre de comparaison, il y a quatorze ans, Un long dimanche de fiançailles de Jean‑Pierre Jeunet bénéficiait d’un budget de 57 millions d’euros. Avec moitié moins, Dupontel parvient à faire des miracles.