Interstellar
Lorsqu’il rêve, Christopher Nolan se prend sans doute pour Stanley Kubrick, sa version 2.0, mais à son réveil, autrement lorsque ses songes deviennent enfin des films, personne n’a osé encore lui dire qu’il ressemblait plutôt à Ron Howard. Ce qui, en soi, n’est pas une tare, dès lors que l’intention raccorde avec le résultat.
Interstellar commence en terre vaguement fordienne, quelque part dans un futur proche (tablettes et drones), entre le « dust bowl » des Raisins de la colère et celui du Magicien d’Oz. Mais ici, pas de Californie à atteindre pour cette humanité vouée à disparaître, pas d’antidote miracle à la destruction des cultures, mais une poignée d’hommes envoyés dans l’espace à la recherche d’une nouvelle terre hospitalière. Cooper (McConaughey) le bien‑nommé sera ainsi le dernier des Mohicans terrestres et le premier de cette planète que lui et son équipage cherchent au bout d’un trou noir, une porte des étoiles où quelques éclaireurs de la Nasa ont, il y a des lustres, tenté de planter le drapeau.
Après une première partie honorable, Nolan plonge dans les arcanes de son jouet rutilant, s’amuse avec ses paradoxes temporels, nous assène ce mode d’emploi dont tout le monde se contrefout mais sur lequel lui et des batteries de scientifiques valides ont dû plancher, un voyage interstellaire donc, à travers une faille de l’espace‑temps censée ouvrir de nouveaux horizons spatiaux et théoriques à l’humanité.
Tout part en vrille, ou presque : les blocs se raccordent mal, la très belle musique de Hans Zimmer fait parfois illusion, les belles séquences ont à peine le temps d’éclore, les meilleures intuitions du script sont tuées dans l’œuf. À l’époque de The Dark Knight et The Dark Knight le Chevalier Noir, coups de force et d’éclat incontestables, Nolan filmait mais avec la bride sur le cou. Il devait se trouver, à Hollywood, un producteur, un studio, pour lui dire que les Rubik’s Cube qui tournaient déjà dans son cerveau méritaient d’être filtrés, travaillés, mis au service d’une vision qui ne soit pas qu’une petite démonstration de force et d’épate. Nolan tournait des films qui se tenaient jusqu'au succès d’Inception, arnaque sympathique et virtuose qui en a séduit tant. Le succès de ce film fut, et demeure, la chance et la malédiction de Nolan. Difficile de garder le cap et la tête froide lorsqu’on vous donne carte blanche ou presque (165 millions de dollars), avec pour mission de livrer un blockbuster adulte et divertissant, et surtout différent de tout ce que l’essentiel de l’industrie produit à la chaîne.
Visiblement, ce producteur Gepetto a disparu et Nolan, qui possède un réel talent de conteur, tourne en roue libre, sans personne pour tirer la sonnette d’alarme. L’homme aime les films‑monde, mais un monde vu depuis la lunette d’un ado, un monde qui parle fort mais ne pense pas grand‑chose. Son ambition : raconter l’univers, en déplier les lois, les possibles, et ces films appartiennent à cette culture geek qui s’éblouit devant les mécanismes, les procédures complexes et toutes sortes de constructions ludiques dès lors que celles-ci suscitent le déchiffrage, l’exégèse et d’interminables débats sur les forums entre internautes fascinés (souvenez‑vous de la toupie d’Inception !).
Interstellar ne déroge pas à la règle et le temps lui manque : la dernière demi‑heure décroche la palme du fourre‑tout puisqu’il s’agit de combler toutes les lacunes ouvertes, de boucler toutes les issues. L’horizon kubrickien devient métaphysique de collégien, l’opacité de 2001 et son vertige (le monolithe) vire à la complexité stérile, les acteurs s’engouffrent sans conviction dans des tunnels de théories astrophysiques, après tout, si papa Nolan l’a écrit, c’est que tout cela doit bien mener quelque part. Mais où ?
Car l’homme veut tout à la fois, la médaille du Kleenex (on passe beaucoup de temps à voir pleurer McConaughey, qui le fait très bien) et celle de la guilde des astrophysiciens, la théorie et l’émotion, Jessica Chastain (envoûtante) et Matt Damon (nul), la position du philosophe et celle du maître de jeu. Que raconte, au fond, le monstre Interstellar ? De quoi accouche‑t‑il ? De pas grande‑chose, sinon de cette petite musique bien connue du mainstream hollywoodien : le plus beau des savoirs se loge au fond du cœur humain.