The Visit
Il fut dans les années 1990 l'un des wonderboys de Hollywood et l'un des cinéastes les plus surcotés de l'époque. Avec Le sixième sens et Incassable, interprétés par Bruce Willis, Night Shyamalan s'était imposé comme le maître du twist final qui vous retourne le cerveau, le genre de conteur capable, a priori, de vous emmener partout : aux côtés d'un rescapé d'une catastrophe qui se découvre des talents insoupçonnés, d'un enfant qui parle avec les morts, ou au milieu d'un village terrorisé par des créatures vivant à la lisière des bois (Le village). Puis, soudain, la chute et le discrédit.
En trois films ratés (La jeune fille de l'eau, After Earth et Le dernier maître de l'air), Shyamalan est presque devenu un paria, un indésirable dont le nom fait frémir les studios hollywoodiens. C'est avec Jason Blum, producteur malin spécialisé dans les films à petits budgets et utilisant la technique du found footage (Paranormal Activity, Insidious et autre Sinister) qu'il a décidé de revenir aux manettes, par la petite porte, mais le résultat, à la fois modeste et hyper‑maîtrisé, est sans doute ce qu'il a tourné de mieux depuis quinze ans.
Pas d'acteurs stars, pas de moyens, The Visit décrit le séjour que deux adolescents, Tyler et Becca, vont passer chez des grands‑parents qu'ils n'ont jamais vus. Apprentis cinéastes, toujours flanqués de leur caméra, le frère et la sœur ont décidé de documenter leur voyage et espèrent, secrètement, que le film qu'ils rapporteront à leur mère permettra à celle-ci de se réconcilier avec ses parents.
En quelques minutes à peine, The Visit se retrouve sur les bons rails : deux jeunes acteurs inconnus mais formidables, à commencer par le charismatique Ed Oxenbould, le frère qui rappe à tout va et remplace les insultes par les noms de chanteuses célèbres (Katy Perry ! Sarah McLachlan !), une petite ville américaine cosy avec allées enneigées et balançoire rutilante, et puis Grand‑Mère, chignon impeccable et grande fournisseuse de muffins chauds. Mais très vite, Tyler et Becca s'interrogent sur des petits détails qui, peut‑être, n'en sont pas : à quelle activité se livre vraiment Grand‑Père lorsqu'il s'enferme dans sa grange ? Pour quelle raison Grand‑Mère insiste‑t‑elle pour que Becca pénètre dans le four, « jusqu'au fond », pour le nettoyer ? Et pourquoi la nuit, gratte‑t‑elle les murs comme une démente ? Les deux gamins décident alors de poser une caméra dans le salon de la maison afin de voir, en leur absence, ce qui s'y passe. Évidemment, ils ne seront pas déçus du résultat.
La révélation fonctionne en deux temps : d'abord justifier l'utilisation du found footage qui consiste toujours à révéler l'horreur cachée du réel, ensuite, laisser la place au twist shyalamanesque qui, ici, fonctionne à plein. Le found footage est devenu une plaie, une technique carbonisée par des années d'utilisation bon marché dans des films d'horreurs calamiteux, et Shyamalan le sait. Mais en confiant le filmage à deux apprentis cinéastes qui s'interrogent sur ce que sont la « mise en scène » et le « plan », il contourne ses principaux défauts (cette caméra qui s'agite toute seule, ces jump scare à répétition) et remet un œil derrière le viseur, autrement dit un point de vue qui renoue plus avec Psychose ou Halloween qu'avec l'esthétique de Jackass.