Ex-Machina
Auteur du roman La plage adapté par Danny Boyle en 2000 et scénariste de 28 jours plus tard et Sunshine, le Britannique Alex Garland passe enfin derrière la caméra pour un film d’anticipation à petit budget autour d’un thème largement rebattu par l’histoire du cinéma, l’intelligence artificielle.
Loin de chercher à révolutionner le genre à la manière de 2001, Ghost in the Shell, A.I, Blade Runner ou même Terminator, Garland choisit la forme du huis clos et, à la manière d’une partie d’échec mentale, confronte trois personnages à l’intérieur d’un laboratoire bunkerisé, installé au cœur d’une forêt. Les questions du jour : qu’est‑ce que la conscience humaine ? Comment l’évaluer ? Un robot peut‑il avoir conscience de lui‑même ? Ce qui aurait pu virer au pensum pour lecteurs d’Asimov se transforme, grâce à la précision d’une mise en scène qui tire parfaitement parti de son décor minimaliste, en une divagation glaçante sur la place de la machine dans notre monde ultra‑technologisé.
Caleb, un programmeur informatique surdoué, décroche le gros lot : il vient de gagner le concours organisé par le « big boss » de son entreprise, un certain Nathan, version monastique et barbue du docteur Henry Frankenstein, incarné par Oscar Isaac (Inside Llewyn Davis, A Most Violent Year), l’un des acteurs américains les plus transformistes du moment. Le « deus », que le titre ne mentionne pas, c’est lui, une sorte de tyran mastoque, retiré dans son domaine forestier, loin de la civilisation et des hommes dont il prédira, au détour d’une conversation, l’inadaptation du monde qui vient.
À peine débarqué dans ce lieu aussi pop qu’un meuble Ikea, Caleb se voit confier par Nathan une mission d’évaluation : Ava, la créature robotique dernière génération qu’il vient de créer, possède‑t‑elle une conscience ? Passera‑t‑elle le test ultime au‑delà duquel, hormis les circuits électroniques qui veinent son corps, son simulacre d’humanité sera à portée de main ?
Le parti était risqué : faire tenir l’intégralité du film dans un décor quasi unique autour d’un trio à forte teneur symbolique (le savant fou, la créature et le témoin candide) et multiplier les combinaisons jusqu’à épuisement des spectateurs. Certes, les discussions, la paranoïa, les soupçons de manipulation, l’étrangeté croissante du récit ont lieu, mais bientôt mis au service de la seule question qui intéresse vraiment Garland : peut‑on tomber amoureux d’un robot ? Et si oui, peut‑on coucher avec lui ? Par le chat de cette aiguille sexuelle et de l’inconfortable relation qui naît bientôt entre Caleb et Ava, le film se débarrasse des arguties théoriques pour se placer sur le terrain de l’affect et d’une métaphore plutôt fine sur le droit d’usage des objets que l’on fabrique. Dans l’esprit de Nathan, le robot a la forme d’une femme, plutôt désirable, un mannequin aux formes parfaites et programmé pour être disponible et corvéable à merci.
La science sans conscience possède la forme d’un sexe féminin et le 2.0 n’empêche pas, selon une loi toute kubrickienne, de se prémunir contre la barbarie et la pulsion. L’esclavagisme n’est pas loin, de même qu’une certaine vision de nos sociétés de consommation, souvent promptes à retirer à la main d’œuvre qu’elles utilisent, le droit de disposer d’elle‑même.