Affreux, sales et méchants
De la comédie italienne flamboyante des années 70, on se souvient toujours des mêmes noms : Mario Monicelli, le réalisateur du Pigeon, Dino Risi, l’homme des monstres et des fanfarons, et Ettore Scola, pour ses affreux, sales et méchants, pauvres survivant dans les bidonvilles de Rome. Mais des trois papes incontestés du genre, Ettore Scola est sans doute celui qui s’est le moins bien accommodé de cette réputation de « cinéaste de comédies », qualité qui lui est revenue depuis comme le sparadrap dont ne parvient pas à se débarrasser le Capitaine Haddock à la fin de Vol 714 pour Sydney.
Ettore Scola aurait voulu être un auteur reconnu, analysé et célébré par la critique institutionnelle qui, on le sait, met du temps à pardonner aux cinéastes leurs égarements dans les territoires des genres, et peu importe qu’il s’agisse de la comédie ou de l’horreur. Pour elle, Scola est une figure importante du paysage culturel italien de ces quarante dernières années, mais un cinéaste mineur. Or l’un et l’autre ont eu tort.
« En Italie, a déclaré Scola, la comédie "à l’italienne" est méprisée et le terme est utilisé de manière péjorative. Or, à propos d’un même auteur, on peut faire des distinctions. Par exemple, à propos de La congiuntura, c’est une comédie vis‑à‑vis de laquelle il est juste d’employer le terme péjoratif de comédie "à l’italienne". Par contre, pour d’autres films, il me semble que la critique italienne n’a pas été assez attentive, elle n’a pas vu les modifications qui s’opéraient dans la comédie (…). À l’intérieur même des termes traditionnels de la satire, et tout en tenant compte de la dimension nécessaire du divertissement, s’inséraient des éléments plus sérieux, plus universels ».
Ces éléments, nul doute qu’Affreux, sales et méchants, l’un des chef‑d’œuvres du genre, les contient. Dans les Borgate de Rome au milieu desquels Scola plante sa caméra (quartiers pauvres constitués de maisonnettes auto‑construites), Giacinto (Manfredi), tyran éructant et revêche, braillard et sale, règne sur une communauté de marginaux. Sa chance à lui : avoir touché un petit pactole d’argent suite à un accident de travail qui a lui a coûté un œil. Dans sa bicoque fétide, s’entassent ainsi tous les membres de son clan, femmes, enfants, gendres, cousins, etc.
Tout va pour le mieux jusqu’au jour où Giacinto y installe une prostituée pour laquelle il se prépare à dépenser son pactole. Mais la famille ne l’entend pas de cette oreille et décide de supprimer le « vieux ».
Grand film à redécouvrir, ne serait‑ce que pour y retrouver cette tradition italienne du comique et du grotesque, cette capacité à passer de la farce baroque à la tragédie désenchantée.