Dallas Buyers Club
1986, Dallas. Ron Woodroof, fan de rodéo et tombeur compulsif, vit de son métier d'électricien et de petites arnaques. Une analyse sanguine révèle qu'il a le sida et plus que trente jours à vivre. Refusant la fatalité, Woodroof rejette le traitement officiel, l'AZT, encore en essai clinique. Avec l'aide d'un autre malade, Rayon, il approche la communauté gay qu'il méprise et se lance dans la contrebande de médicaments efficaces mais non autorisés en provenance du Mexique. Pour contourner la loi, Ron crée un « club » d'achat : le Dallas Buyers Club.
Réalisé dans des conditions commando ‑25 jours chrono‑ ce récit basé sur une histoire vraie repose presque exclusivement sur les épaules Matthew McConaughey (Ron) et Jared Leto (Rayon). Les deux acteurs s'y donnent, au sens propre, corps et âme avec une implication, un sens du détail, du geste et de la nuance proprement éblouissants. Ils ne jouent pas Ron et Rayon. Ils sont.
Ce dévouement quasi-fanatique au récit, les deux acteurs l'ont puisé dans leur personnage. McConaughey y incarne un beauf raciste et homophobe, un individu odieux qui se découvre au moment paradoxal où on lui apprend sa fin prochaine. Personnage complexe et franchement déplaisant, Ron n'a pas de circonstances atténuantes : il fait juste partie de cette légion d'anonymes qui ont des possibilités énormes mais qui n'en font rien ou si peu, par paresse. Désormais pris par le temps, pourchassé par la maladie, Ron est contraint de courir. Fini de traîner, il faut vivre, trouver des échappatoires, des solutions maintenant et tout de suite. Et, peut-être, au bout du chemin, cesser de se contempler le nombril. McConaughey a très justement reçu un doublé rare de récompenses pour ce rôle : Golden Globe et Oscar !
De l'autre côté, Rayon, personne fine, délicate et délicieuse qui ne peut pas, ou ne veut pas, stopper la spirale auto‑destructrice dans laquelle son histoire personnelle et familiale l'a placé. McConaughey et Leto, deux Stradivarius, mêlent leur musique avec délicatesse, sans maniérisme. Entre Ron et Rayon, il n'y aura pas de miracle, pas d'amour, peut‑être un semblant d'amitié, sûrement du respect ‑la richesse de leur relation et la sophistication extrême du jeu des deux acteurs sont telles, que le spectateur doit rester littéralement rivé à leur regard pour percevoir les infinies nuances délivrées‑.
Avec ces deux instrumentistes d'exception, le réalisateur Jean-Marc Vallée, qui a porté tout le projet malgré d'infinies tracasseries financières, réussit l'essentiel : dépeindre deux hommes de chair, filmer une course contre le temps, en préserver un peu pour l'ironie et dessiner aussi la sinistre silhouette d'une période, pas si lointaine, où le sida était considéré comme une « maladie d'homos ».
Son récit, bien rythmé, filmé avec une sécheresse inspirée, trébuche parfois (passages en voix off inutiles, le personnage de Jennifer Garner de médiocre facture), mais court avec une fièvre de vie et une absence de pathos qui emportent l'adhésion.