Les brasiers de la colère
Dans la ville ouvrière de Braddock, Russell Blaze (Christian Bale) se débat entre son travail à l’aciérie, les frasques de son bidasse de frère Rodney (Casey Affleck) et la maladie de son père. Fou amoureux de la belle Lena (Zoe Saldana), il se contente de cette vie âpre mais honnête. Tout bascule le jour où il est emprisonné après un accident de voiture ayant coûté la vie à une mère et son fils. Lorsqu’il est libéré, son père est décédé, Rodney est un homme brisé par les horreurs de la guerre au Moyen‑Orient et Lena s’est mise en ménage avec le flic Wesley (Forest Whitaker). Russell tente de reprendre une vie normale, mais lorsque son frère s’acoquine avec de dangereux criminels à l’occasion de combats clandestins, il n’a d’autre choix que de laisser parler sa colère…
Le réalisateur Scott Cooper avait déjà, via son premier film Crazy Heart, dépeint l’Amérique du Stetson, des motels miteux, de la country et des âmes en peine menant une existence précaire à l’ombre d’un capitalisme ayant laissé nombre de ses ouailles sur le bord de la route. Il y revient à travers une histoire plus sombre et minérale, hantée par des hommes brisés qui, chacun à leur manière, tentent de ne pas perdre pied.
Avec pudeur et sensibilité, le long premier acte pose des jalons émotionnels que l’on sent puissants, tissant des relations fortes entre Russell et son frère, ciment d’une tragédie en devenir dont on imagine la déflagration cataclysmique. Tout y est : justesse des émotions, acteurs surpuissants, mise en scène sobre et solide…
Puis quand le drame se met en place, pièce par pièce, la mécanique montre quelques faiblesses : facilités ou incohérences d’écriture et situations stéréotypées fragilisent les fondations posées par Cooper, d’autant qu’il est impossible de ne pas comparer Les brasiers de la colère à de prestigieux aînés. Récents, comme le puissant Warrior et son opposition entre deux frères, l’un honnête travailleur, l’autre ancien soldat, dans le monde du Free Fight. Ou plus anciens, comme le chef‑d’œuvre Voyage au bout de l’enfer, auquel le long métrage de Cooper emprunte quelques mécaniques (histoire d’amour contrariée, traumatisme de la guerre) et rend même un hommage appuyé (la séquence de la chasse au cerf, le titre original de Voyage au bout de l’enfer étant The Deer Hunter, soit « le chasseur de cerfs »).
Malgré toutes ses qualités, Les brasiers de la colère ne parvient donc pas à déployer la même véracité humaine, le même lyrisme à la fois rugueux et romantique, parce qu’il n’arrive justement pas à épouser la véracité humaine de ses personnages et situations à force de se reposer sur des rouages cinématographiques un peu trop mécaniques.
Reste un polar noir de très bonne facture, hanté par un incroyable Woody Harrelson en mafieux redneck maléfique, et par le regard à la fois furieux et résigné de Christian Bale lors d’un pénultième plan qui résume à lui seul ce que Les brasiers de la colère aurait pu être s'il avait laissé parler ses tripes.