Prisoners
En Pennsylvanie, deux fillettes disparaissent à l’approche de l’hiver. L’inspecteur Loki appréhende vite un suspect, Alex, jeune homme retardé. Faute de preuve, Alex est relâché. Keller, le père d’une des deux fillettes, persuadé qu'Alex est impliqué dans le kidnapping, enlève à son tour le jeune homme pour le faire parler coûte que coûte. Loki poursuit son enquête mais les jours passent, sans nouvelles des enfants.
Pour faire un Prisoners, prenez un verre (paysage urbain étouffant de la banlieue de Boston), arrosez d’un zeste de thriller (course contre la montre pour retrouver deux enfants) puis allongez généreusement de drame psychologique (comment réagir face à l’inacceptable ?). Ce cocktail étrange, servi glacé par le réalisateur québécois Denis Villeneuve, peut intriguer. Et beaucoup agacer aussi.
D’abord parce que la réalisation de Villeneuve, si elle sait installer un malaise rampant et puissant comme le froid, louche effrontément sur l’esthétique et la rythmique des derniers films de David Fincher. Sans parvenir à les égaler.
Ensuite parce que l’un des deux interprètes principaux, Hugh Jackman, a manqué de confiance en lui. L’acteur, qui campe Keller, père de famille et bombe à retardement émotionnelle prêt à tout pour sauver sa fille, a eu le tort de ne pas faire confiance à son métier et son impressionnante présence physique. Au lieu d’injecter au cocktail de petites pincées d'angoisse, d'orchestrer un savant crescendo de violence, Jackman ouvre carrément la lance à incendie : il montre, démontre, souligne et scande que son personnage est au bord de la rupture psychologique. Il en fait beaucoup. Beaucoup trop.
Ainsi maltraité, le cocktail Prisoners devrait finir dans l’évier. Sauf que le second acteur principal, Jake Gyllenhaal (déjà présent dans le Zodiac de Fincher), réussit à sauver la recette et à remettre en place l’édifice à lui tout seul. Gyllenhaal ne partait pourtant pas gagnant : on ne sait presque rien du détective Loki mais l’acteur, grâce à un travail d'une extrême finesse sur son corps et son visage, réussit à créer un personnage à la fois palpable, puissant et flippant car, de toute évidence, en chemin vers la folie. En gourmet éclairé, Jake Gyllenhaal joue sans cesse sur le non‑dit, la construction en creux, le suggéré. La précision et la finesse de son interprétation suffisent à donner du coffre au duel psychologique entre Loki et Keller et à sauver Prisoners d’une indifférence polie. Respect.