Jeune & jolie
Hormis ses comédies soignées mais un peu « téléramesques » à destination de rombières en quête de moues délicieuses (Potiche, Huit femmes), les films du métronome François Ozon (14 longs métrages en 15 ans) suivent à peu près et depuis Sitcom, son coup d’envoi en 1998, une même logique : trois actes qui suivent le dérèglement progressif d’un petit milieu bourgeois, en proie à une anomalie (souvent un refoulé) qu’il s’avère incapable d’absorber.
Après Dans la maison, récit vénéneux de la manipulation d’un prof par un élève un brin intrusif, Ozon continue d’explorer le monde impénétrable de l’adolescence et cale son œil sur Isabelle, une jeune fille envoûtante (Marine Vacth, sublime) qui, après un dépucelage expédié sur une plage à la fin de l’été, décide, une fois rentrée chez elle, de vendre son corps à des inconnus argentés et de plus en plus grisonnants.
Découpé en quatre saisons, et quatre chansons de Françoise Hardy, le film suit sa Tess moderne dans ce qui, entre deux cours de fac, devient bientôt une vie parallèle parfaitement ritualisée avec rendez‑vous par SMS, changements de tenues, longs couloirs d’hôtels luxueux et transactions sexuelles.
« Qu’est‑ce que c’est d’avoir 17 ans et de sentir son corps se transformer ? ». Ainsi Ozon a‑t‑il défini son projet, mais pas sociologue pour un sou, le réalisateur de Sous le sable n’a pas voulu faire « le portrait d’une génération » ni un film dossier sur la prostitution étudiante. Et c’est tant mieux. Chercher à comprendre l’obscur objet du désir de cette adolescente, à la manière d’un entomologiste qui voudrait tirer des leçons, c’est s’exposer au contresens ou au ridicule, soit ce qu’il advient aux parents d’Isabelle, à la fois touchants dans leur volonté de réparer une faute imaginaire dont ils ignorent la nature, et à côté de la plaque lorsqu’ils cherchent les raisons objectives du comportement de leur progéniture. Isabelle est jeune, jolie, issue d’un milieu aisé, sans trauma particulier ni problème d’argent, et pourtant, elle se prostitue. Une donnée donc, et non pas un problème, comme Ricky, le bambin du même nom sur le dos duquel poussait, sans raison particulière, une paire d’ailes de poulet.
Toute la réussite de Jeune & jolie tient dans sa volonté de ne jamais expliciter ce « pourtant », de jouer avec cette opacité sereine qu’Ozon installe entre le spectateur et ce personnage fascinant dont on finit par comprendre qu’il vend son corps, moins pour des motifs sexuels (la prostitution est ici un moyen, jamais une fin), que pour expérimenter une forme de clandestinité.
S’il y a bien du sang bunuelien qui coule dans les veines du (meilleur) cinéma d’Ozon et dans celui‑ci en particulier, c’est cette capacité à introduire du dysfonctionnement comme si de rien n’était (quid de ce jeune frère qui, dès le début du film, zyeute à la jumelle le corps chosifié de sa sœur topless ?) et à traiter le scandale (la prostitution ?) comme une pratique normale. Des deux, quel est le plus dérangeant ?