Mud
« Je me rappelle encore la solennité du crépuscule et le mystère des bois profonds, les odeurs terreuses, le parfum discret des fleurs sauvages, le luisant du feuillage lavé par la pluie (…), les créatures sauvages que l’on dérangeait et que l’on apercevait brièvement quand elles détalaient dans l’herbe, je me rappelle encore tout cela et je peux le rendre aussi réel qu’autrefois, et avec tout autant de bonheur ».
Ces quelques lignes, extraites de l’autobiographie de Mark Twain se remémorant sa jeunesse dans un bled paumé au bord du Mississippi, pourraient servir à planter le décor du troisième film de Jeff Nichols (Shotgun Stories, Take Shelter), Mud, ou plutôt à saisir l’atmosphère de ce conte initiatique qui se déroule lui aussi au bord de ce fleuve au rythme alangui.
Là, vit Ellis, 14 ans, des problèmes pleins les bottes (des parents au bord du divorce, une région sinistrée par la crise), mais des désirs d’aventures plein la tête. Un jour, au cours d’une (petite) épopée, lui et son meilleur ami Neckbone découvrent une île déserte, plantée au milieu du fleuve, et font la connaissance de Mud, un dur à cuir tatoué reclus à l’intérieur d’un bateau perché au sommet d’un arbre. Avec sa chemise porte‑bonheur, sa conception de l’amour pur (il est là pour retrouver la femme de sa vie), ses histoires « bigger than life » et les empreintes en forme de croix que ses bottes cloutées laissent dans le sable, Mud, génialement interprété par Matthew McConaughey (déjà sensationnel dans Killer Joe), incarne la réserve d’imaginaire dont Ellis et Neckbone rêvaient secrètement, l’étrange figure de mentor qui permettra à ces deux gamins débrouillards de passer de la rive magique de l’enfance à celle, plus problématique, de l’adolescence avec ses premières désobéissances, ses fugues secrètes et ses premiers revers amoureux.
Nichols ne cache pas ses propres figures tutélaires ‑Un monde parfait d’Eastwood, le Carpenter de Starman, Mark Twain, John Sayles mais aussi E.T dont il pourrait être un remake caché‑, mais navigue au milieu d’elles avec une assurance toute classique qui tranche avec l’essentiel de ce que produit le cinéma américain contemporain.
Chez Nichols, pas la moindre trace de cynisme, d’ironie, de second degré, de jeu avec les références, mais le désir de remettre la croyance au centre de l’expérience cinématographique (c’est son côté ado) et comme moteur central de ses personnages, tous hantés par le sentiment d’un monde qui les étouffe (Take Shelter) ou les pourchasse (Mud et Ellis). Certes, on pourra reprocher au film un excès d’écriture, dans sa manière de vouloir à tout prix nouer entre eux tous les fils tissés par l’histoire, l’évidence de ses métaphores aussi, posées par les dialogues et/ou les situations. C’est que Mud se situe dans le contrechamp exact de Take Shelter (son antidote ?) qui s’enfonçait progressivement dans le mystère et l’inquiétude. Ici, à mesure que le film avance, le monde, celui des adultes, gagne en clarté ce qu’il perd sans doute en fascination.