Skyfall
Comment faire du neuf avec du vieux ? Comment, pour sa 23e apparition, susciter encore l’intérêt des spectateurs pour cet agent secret increvable, dont des rumeurs disent, qu’après la blondeur et les yeux bleus de Daniel Craig, il pourrait avoir la peau noire (Idris Elba, Luther ?), manière de mettre 007 à la page de l’Amérique post‑Obama. Cela dit, que vaut ce Skyfall ?
Disons qu’il constitue d’abord, comme la plupart des récents James Bond, un très bon thermomètre du cinéma d’action contemporain. On se souvient de ceux avec Pierce Brosnan tournés dans les années 1990 ‑la période noire de la licence avec les opus de Timothy Dalton, mais tout le monde l’a oublié‑, comme se traînant péniblement derrière les blockbusters de l’époque.
Avec Skyfall, on assiste à un Reader’s Digest rigoureux du genre : crise identitaire à la Jason Bourne (Bond est donné pour mort et ressuscite lui aussi d’entre les eaux), chassé‑croisé au sommet d’un building de verre et de néons directement inspiré de l’esthétique post‑moderne de Michael Mann, dernière partie dans les Highlands d’Écosse (mais heureusement sans Harry Potter à l’horizon), grande séquence centrale de suspense rejouant au plan près le Dark Knight de Christopher Nolan.
Pourquoi Batman ? Parce que le méchant de service, interprété par Javier Bardem, est une déclinaison peroxydée du Jocker de The Dark Knight, mais aussi parce qu'après cinquante ans de bons et loyaux services, après des centaines de missions et de femmes fatales étreintes puis supprimées, après avoir fait plusieurs fois le tour du monde pour toujours revenir dans les parages de Big Ben, Bond, James Bond, est confronté à une immense crise existentielle. La même que celle qui, depuis le milieu des années 2000, frappe tous les super‑héros du cinéma hollywoodien, et en particulier le justicier de Gotham City.
Décidément, la dépression des héros mâles est plus hype que jamais. Est‑ce d’ailleurs un hasard si la fameuse James Bond Girl n’occupe cette fois qu’un strapontin et que la grande séquence de séduction a lieu entre deux hommes : Bond, attaché à une chaise, et sa Némesis, homosexuel patenté qui écoute du Charles Trenet et balade sa main sur le torse musclé de 007, lequel, d’ailleurs, ne semble pas s’en offusquer. Qui aurait cru qu’un jour, pour coller à l’air du temps, James Bond deviendrait gay friendly ?
Vous l’aurez compris, le vrai problème de Bond, c’est Bond lui‑même : sa motivation, plutôt en berne, sa vie privée, toujours veuf et célibataire, sa chef, Maman Q, que le gouvernement britannique aimerait bien envoyer en maison de retraite, son foie, au bord de la cirrhose, et puis ses gadgets, cette fois, un simple Walter PKK et une petite radio. On l’aura compris, même la crise des subprimes a touché Bond et son fameux Q, sorte de Géo Trouvetou désormais remplacé par un ado pré‑pubère qui ne connaît du monde que les écrans de sa PlayStation : plus de stylos incendiaires, plus de pistolets python laser ou anti‑requin, plus de cigarettes sarbacanes ou de dentifrice explosif, plus de montre avec système de démolition intégré ni de Lotus transformable en sous‑marin. C’est la diète intégrale.
Reste une pièce de musée, qui réapparaît en fanfare au milieu du film, la fameuse Aston Martin DB5 avec mitraillettes, que l’on n'avait pas revue depuis l’époque de Sean Connery. Mais cette pièce de musée n’est pas qu’un gimmick prompt à faire tressauter le fan, non, elle constitue aussi la clé du récit, puisque Skyfall théorise le problème de son héros qui, pendant les 2 heures et 23 minutes que dure son aventure, ne cesse de railler la technologie moderne pour lui préférer l’artisanat d’antan, moque internet et défend mordicus les méthodes old school. Vieille rengaine technophobe, un peu réac', qui nous assène, avec élégance, mais nous assène tout de même, que c’était mieux avant.
Dans le cas de la licence Bond, ce revirement idéologique se comprend : après tout, qu’est‑ce que Bond aujourd’hui, sinon un fonds de commerce lucratif (5 milliards de dollars rapportés depuis 1962) qui a plus un passé à faire fructifier qu’un avenir à construire ?
Mais James Bond n’est pas ringard. Il est vintage. Et ça change tout.