Melancholia
Justine et Michael (Kirsten Dunst et Alexander Skarsgard) se marient en grande pompe dans une vaste demeure bourgeoise qui appartient à la sœur et au beau‑frère de Justine (Charlotte Gainsbourg et Kiefer Sutherland). Tandis que la réception sombre peu à peu dans le chaos, la planète Melancholia se rapproche de la Terre…
Déclaré persona non grata au dernier Festival de Cannes pour ses plaisanteries sur Hitler et les Nazis, le provocateur Lars von Trier, n’en déplaise à ses détracteurs, a dévoilé toute sa sensibilité dans Melancholia, film catastrophe montrant l’apocalypse de manière totalement inédite. C’est‑à‑dire en creux, en silence, en retrait du monde.
D’une beauté picturale étourdissante dès le prologue, succession de tableaux quasiment immobiles s’inspirant notamment de l’œuvre de Millais et accompagnés de la musique de Wagner (le sublime Tristan et Isolde reviendra aux moments‑clés du film), l’œuvre réserve bien plus au spectateur que sa belle grandiloquence, que son apparat d’esthète.
Le plus poignant, ici, c’est la façon dont Trier filme la dépression ‑un mal qu’il connaît personnellement‑, faisant de Kristen Dunst (prix de la Meilleure actrice à Cannes) son double, son alter ego. Mais le cinéaste ne fait pas que dépeindre la dépression comme une maladie, il la montre également comme un état de grande lucidité, plaçant ainsi ceux qui en souffrent au‑dessus des autres. Pas vraiment en tant qu’êtres intellectuellement supérieurs, il ne s’agit pas d’un péché de vanité, mais comme des personnes extralucides par leur pessimisme.
La matière narrative du long métrage sublime le propos de son auteur. Le film est divisé en deux segments, que l’on pourrait croire complémentaires, mais qui au contraire se ressemblent étrangement. Rappelant le Festen de Vinterberg, la première moitié raconte le mariage de Justine et son délitement progressif en même temps que les conventions sociales volent en éclats. Et la jeune mariée, passive face à son destin, sera responsable de cette explosion. Le choix de la caméra à l’épaule façon Dogme s’avère judicieux, la technique employée permettant de rendre compte de la fragilité des relations entre les personnages, de l’instabilité des sentiments, de la banalité du chaos quotidien.
La seconde partie, attente contemplative d’une fin du monde annoncée, insiste sur la différence entre les deux sœurs, le personnage de Charlotte Gainsbourg (formidable comme toujours) tentant de réagir de manière rationnelle mais peu à peu gagnée par l’angoisse tandis que Justine, consciente car préparée au pire, attend avec détachement l’heure de sa délivrance.
Tout est question de destruction. Destruction de soi, de ses proches ou de la Terre entière. Justine ne trouve véritablement la paix que dans le chaos, celui qu’elle crée elle‑même ou celui qu’elle désire, ainsi que dans la transgression (voire les deux séquences jumelles, celle où elle trompe son mari dans le jardin avec un invité et celle où elle expose son corps nu à la Voie lactée). Finalement, cet astre aussi majestueux que menaçant n’est‑il pas simplement la projection astrale de la blonde évanescente ? Du grand art.