le 23 janvier 2009 - 13h06

William Friedkin

Trente-six ans après son tournage, William Friedkin revient pour nous sur l’une des œuvres les plus marquantes de sa filmographie, et sans doute de l’histoire du cinéma.
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Comment l’histoire de French Connection vous a-t-elle été confiée ?

 

C’est le producteur qui détenait les droits du film qui est venu me chercher. Il connaissait bien mon travail dans le documentaire, et il s’est dit que ce style-là pourrait tout à fait coller au sujet. L’histoire s’inspire d’un cas réel datant de 1962 à New York. Le cerveau des dealers, joué dans le film par Fernando Rey, était un Corse appelé Jean Venturi. Et comme dans le film, il n’a jamais été inquiété. Il est mort tranquillement dans son lit au pays. La police de New York savait exactement qui il était et où il était. Des inspecteurs sont venus en France avec des papiers d’extradition. Ils ont arpenté les rues de Marseille et de Paris pendant plusieurs semaines, et ils se sont aperçus que pour mener à bien cette extradition, il fallait remplir papier administratif sur papier administratif, ce qui a finalement eu raison de leur patience. Un collègue français, qui avait beaucoup d’amitié pour ces deux détectives new-yorkais, leur a conseillé de laisser tomber, en précisant que la France n’extraderait jamais cet homme. Il se trouve que ce Corse avait combattu pendant la Seconde guerre mondiale en tant que résistant auprès du Général. En fait, celui qui a fait le plus de prison dans cette affaire, c’est le présentateur de télévision français Jacques Angelvin. Ce qu’on voit à l’écran pour lui s’est vraiment passé dans la réalité. Il a fait quatre ans de prison, alors que toutes les autres personnes n’ont jamais été vraiment inquiétées.

 

Parlez-nous du style si particulier du film…

 

Le style de French Connection est inspiré du documentaire, mais aussi de la Nouvelle Vague. Au mois de juillet 2008 dernier, je suis venu en France recevoir une médaille culturelle, et dans l’assistance, il y avait Costa-Gavras. J’ai donc eu l’occasion de le remercier publiquement pour son film Z. Quand je l’ai vu pour la première fois, il a ouvert la porte de mon imagination. C’est un film fantastique. Il s’agit aussi d’un long métrage inspiré d’un cas réel, qui donne l’impression d’avoir été tourné en direct, comme un documentaire. C’est cette authenticité-là que je voulais retrouver pour French Connection. Les réalisateurs américains de ma génération étaient totalement impressionnés par la Nouvelle Vague française, avec ses caméras à l’épaule et ses montages abrupts. Ce qui est amusant, c’est que ces films n’avaient pas l’air d’avoir de scénarii solides et que les studios n’aimaient pas trop ça… C’est un miracle qu’ils existent !

 

Comment avez-vous recruté les acteurs du film ?

 

Il faut savoir que dans sa quasi intégralité, le casting est un accident ou un cadeau du Dieu du cinéma ! À l’époque, j’avais un jeune directeur de casting dont ce n’était pas vraiment le métier. Il était critique de cinéma et de théâtre. Pour le rôle de Charnier, je lui avais demandé de contacter cet acteur qui jouait un des gangsters dans Belle de jour. Il m’a dit qu’il s’appelait Fernando Rey et qu’il était disponible. Il parlait un peu anglais et avait pas mal tourné avec Bunuel. Je suis allé l’accueillir moi-même à l’aéroport de JFK, pour le rencontrer et le conduire à son hôtel. Quand il est arrivé, je n’ai pas du tout reconnu l’acteur que j’avais choisi pour le personnage de Charnier, inspiré par le très rustre Jean Venturi. En fait, c’est Francisco Rabal que je voulais dans le rôle, car physiquement, il était très proche. Tandis que Fernando Rey, avec sa petite moustache et son bouc, avait le physique d’un aristocrate distingué. Je l’ai ramené à l’hôtel totalement interloqué. J’ai entamé la discussion en lui disant que c’était impossible qu’il garde son bouc pour interpréter Charnier. Il m’a répondu : « Vous me demandez ça parce que vous ne m’avez jamais vu sans bouc, j’ai d’énormes problèmes de peau. Puis je tenais à vous préciser que je suis Espagnol et que je parle anglais, mais pas du tout français ». Un peu énervé, je suis arrivé à l’hôtel et j’ai téléphoné à mon directeur de casting pour l’engueuler : « Tu as engagé le mauvais acteur, ce n’est pas celui que j’avais choisi, et en plus, il n’a pas joué dans Belle de jour ». Il a fini par admettre que le type qu’on voulait était Francisco Rabal. Je lui ai dit de virer Rey et d’engager Rabal. Bien sûr, Rabal était aussi Espagnol, mais ne parlait ni français, ni anglais. En plus, il n’était pas disponible. Finalement, on a retravaillé le rôle pour qu’il corresponde à Fernando Rey. Au final, il s’est avéré excellent.

 

Gene Hackman était-il aussi une erreur ?

 

En ce qui concerne Gene Hackman, ce n’était même pas une erreur. Je ne l’ai pas choisi du tout. Ce n’était même pas une éventualité. Au départ, je voulais Jackie Gleason, une immense star de télévision aux USA et un acteur assez massif. Il se trouve qu’il avait déjà tourné pour la Fox (producteur du film, NDLR). Un long métrage intitulé Gigot dans lequel il jouait un clown muet. Le plus grand désastre économique de toute l’histoire de la Fox ! À côté, L’aventure du Poséidon, c’est Citizen Kane ! Les gens de la Fox m’ont dit qu’il était hors de question que je prenne Jackie Gleason. Ensuite, nous sommes allés voir Peter Boyle, un des héros de la série Tout le monde aime Raymond. C’était quelqu’un de moche et massif. Il avait joué la créature de Frankenstein presque sans maquillage (rires). On lui a parlé du rôle de Popeye et il a répondu : « Non merci, moi, je ne veux plus jouer que des comédies romantiques ». En se regardant dans le miroir, il voyait Clark Gable… Le producteur de Tout le monde aime Raymond, qui est un ami, m’a raconté que pendant neuf ans, tous les jours, Boyle arrivait sur le plateau de la série en disant : « La plus grosse erreur de ma vie, c’est lorsque j’ai refusé French Connection ». En fait, c’est un agent qui m’a suggéré le nom de Gene Hackman. Il n’avait jamais joué un premier rôle à cette époque. Ce n’était pas une vedette, même s’il était un excellent second rôle. Il faut savoir que dans la vie, c’est quelqu’un de doux, de silencieux et d’introverti. Ce n’est pas du tout Popeye et je ne voulais pas de lui pour jouer le rôle. Mais à ce moment-là, la Fox était au bord de la faillite et ils m’ont dit que si je ne commençais pas le film dans la semaine, le nouveau patron qui allait arriver en reprenant le studio risquait de tout annuler. C’est la mort dans l’âme que j’ai dû prendre Gene Hackman. Ensuite, il est devenu l’un des acteurs américains les plus reconnus. Mais il a détesté interpréter ce rôle de gars brutal et raciste. Le personnage réel dont s’inspire Popeye était un flic brutal qui battait les suspects, et Hackman vomissait cela. Donc au départ, il résistait et ne voulait pas l’interpréter de cette façon. Alors que nous tournions la scène du début du film, où Popeye poursuit et malmène un suspect afro-américain, Hackman n’y arrivait pas. L’homme était contre un mur et Hackman devait le gifler. Il n’y arrivait vraiment pas. Après trente-sept prises, celui qui jouait le voyou, Alan Weeks, a dit à Hackman : « Va y maintenant espèce de fils de pute, colle-moi une tarte qu’on puisse enfin tous rentrer à la maison ! ». Et ça a été comme ça pendant tout le tournage !

 

Quels sont vos futurs projets ?

 

Je suis en train de préparer l’édition Blu-Ray de L’exorciste avec une qualité d’image qui va surprendre les fans ! Puis je m’attaquerai à Sorcerer et Le sang du châtiment, jamais édité en DVD. Je vais aussi réaliser l’épisode 200 de la série Les experts Las Vegas avec mon vieil ami William L. Petersen, que j’ai dirigé dans Police fédérale Los Angeles. Quant à mon prochain film, il s’agira d’un thriller énigmatique, très dérangeant et extrêmement violent, écrit par une jeune scénariste noire de Los Angeles. Elle est très douée !

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