le 22 mars 2018 - 14h56

Rotem Shamir

Le premier épisode de la saison 2 de Fauda, série israélienne multiprimée coécrite par Lior Raz et Avi Issacharoff, a été présentée il y a quelques semaines lors de la soirée d’ouverture de la 31e édition du Fipa à Biarritz, consacrée cette année au cinéma israélien. Produite par Liat Benasuly, la femme derrière Hatufim, la série à l’origine de Homeland, Fauda s’inscrit dans la grande lignée des séries d’espionnage, ici sur fond de conflit israélo‑palestinien.
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Le réalisateur Rotem Shamir (photo ci‑contre), également auteur de la série Hostages, revient sur l’engouement suscité pour Fauda, du côté israélien comme palestinien.

 

 

Comment s’est décidée votre direction de la saison 2 ?

 

Assaf Berstein, le réalisateur de la première saison, étant indisponible, j’ai été sollicité par la production. J’avais aimé la série, réaliste et novatrice. L’opportunité de prendre la direction d’une telle réalisation, dans le contexte cinématographique israélien, représentait une occasion unique : j’ai donc accepté tout de suite. Je poursuis la mise en scène initiale, en la développant, les épisodes de la seconde saison ayant une durée de quarante‑cinq minutes au lieu de trente‑cinq.

 

Fauda évoque un western moyen‑oriental, avec son rythme rapide, ses scènes d’action dans le désert, des poursuites à moto…

 

Cette référence au western me plaît car Fauda est l’histoire d’une vengeance liée au destin violent, et sans échappatoire, d’hommes durs. Cette dimension du western est donc bien présente.

 

Comment se déroule la direction d’acteurs israéliens et arabes israéliens ?

 

C’est génial. Fauda est une famille. Nous sommes une quarantaine, très proches les uns des autres. Il y a une bonne entente, beaucoup de rires de plaisir et aucun conflit, même lors de discussions. Les acteurs sont jeunes et sympathiques, faciles à diriger.

 

Une équipe israélo‑arabe, n’est‑ce pas unique en Israël ?

 

En effet mais le sujet nous amène à être ensemble. Beaucoup d’Arabes israéliens travaillent dans le milieu du cinéma israélien. Ce qui est nouveau, c’est la composition de notre équipe, moitié israélienne, moitié arabe israélienne. Et cela fait sens, nous nous rendons dans des villages arabes où nous devons expliquer aux résidents que nous allons tourner, leur demander de fermer un marché, utiliser tel ou tel lieu pour y installer notre équipe. Les habitants connaissent Fauda et s’en réjouissent, ils assistent au tournage, prennent des selfies avec les acteurs, et nous les rétribuons pour les séquences réalisées dans leur maison, leur cours... Ces rencontres sont une expérience que nous chérissons, je n’apprécie pas le fait que nous soyons séparés, culturellement et physiquement. Nous ne nous rencontrons jamais au quotidien. Bien sûr, je peux aller manger un houmous au marché, mais je ne pourrai pas interagir ‑comme cela s’est produit‑ avec un enfant à Nazareth, que je n’aurais jamais connu si je n’y avais pas tourné. Nous avons passé des mois avec les habitants et avons appris à nous connaître.

 

Fauda dépasse donc l’événement cinématographique et devient une opportunité de rencontres entre Israéliens et Arabes ?

 

Je l’espère. En ce qui me concerne, Fauda m’a fait connaître la langue, la culture arabe. Et le fait qu’on en parle sur les réseaux sociaux signifie que chose se passe. Mais j’espère qu’on ne prend pas Fauda comme une déclaration politique, car il ne s’agit pas de cela, mais de divertissement. Et mon travail consiste à créer une bonne tension, une bonne action dramatique et non à représenter le conflit.

 

Dans la série, les Israéliens et les Palestiniens se confondent souvent, on vous a parlé de perte d’identité…

 

Un journaliste arabe s’est plaint, déclarant qu’il ne suffisait pas qu’un Israélien se déguise en Arabe pour lui ressembler, inversement. Des deux côtés, des gens sont insatisfaits. Mais c’est cela l’infiltration, c’est même le thème de la série : cette unité des Mistaravim s’habille comme l’ennemi pour infiltrer son territoire et procéder aux arrestations. Or, certains de leurs membres confient qu’à un moment donné, une confusion naît. Vous parlez arabe, vous passez du temps là‑bas : qui êtes‑vous ? C’est un thème intéressant à explorer.

 

Était-ce le cas de Lior, l’un des auteurs ‑Doron dans la série‑ qui a fait partie d’une de ces unités ?

 

Avi Issacharoff et Lior Raz se sont rencontrés après leur service dans ces unités, décidant, quinze ans plus tard, d’écrire Fauda pour partager leur expérience. Pour Lior, qui traversait une expérience post‑traumatique, ce récit représentait un acte thérapeutique : c’était mieux que d’aller chez le psy !

 

Ce qui explique le caractère véridique de Fauda ?

 

Oui et Avi est un expert de la culture palestinienne, ce qui fait de Fauda le show le plus réaliste et pointu qui soit. Car basé sur une expérience réelle.

 

Comment la série a‑t‑elle été accueillie par les Palestiniens ?

 

Je ne connais que le retour d’Avi qui, en tant que spécialiste du monde arabe, a la possibilité de se rendre dans les territoires, et a constaté que Fauda est appréciée.

 

Les Israéliens et les Palestiniens étant victimes du conflit, Fauda n’est‑elle pas thérapeutique pour les deux partis, qui voient leurs difficiles réalités dédramatisées dans un programme de divertissement ?

 

C’est exactement cela. Embarqué dans le film, emporté par les personnages, on oublie la dimension politique. Cette série a plus d’impact qu’un documentaire militant, qui toucherait un auditoire plus limité.

 

Après ce tournage, quelle est votre conclusion sur les relations entre Palestiniens et Israéliens ?

 

Nous nous ressemblons, nous vivons dans des contextes identiques. Les non‑religieux sont proches. C’est la religion ‑l’extrémisme religieux‑ qui est à l’origine des problèmes, et qu’aucun programme de télévision ne pourra résoudre.

 

À ce propos, y a‑t-il un public spécifique ?

 

Du côté israélien, toutes les classes, de tous les âges, la regardent : ceux de gauche comme de droite pensent que Fauda les représente. Et du côté arabe, le programme est également très suivi. Tout le monde s’y retrouve.

 

Que vous a apporté la réalisation de Fauda ?

 

Le succès mis à part, je n’aurais pu vivre une telle expérience avec un autre film, j’ai pu discuter avec des Arabes israéliens, les connaître, apprendre. Et cela n’a pas de prix. Cette expérience incomparable m’a été offerte grâce au tournage. Elle eut été impossible autrement. Pour nouer des amitiés, il faut intégrer une structure et avoir du temps. Là, les portes se sont ouvertes.

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