Le magicien d’Oz…
Bush, c’est le magicien d’Oz. Quand vous allez derrière le rideau, c’est une immense déception. Je ne l’ai rencontré qu’une fois, mais les gens qui le connaissent, et en particulier l’un d’entre eux, m’a dit un jour : « Lorsque Clinton entrait dans une pièce, on savait qu’il était là. Quand Bush arrive, il faut une quarantaine de minutes avant de s’aperçoire de sa présence ». En fait, c’est un très bon vendeur, il sait utiliser le langage corporel, il sait ce qu’il veut de vous, il est politiquement très futé. C’est un animal. Les gens ne le savent pas forcément, mais il a travaillé très dur et longuement pour devenir président. Ce ne fut pas un président accidentel. Ensuite, en dépit de la pensée commune, c’est un formidable personnage : en huit ans, il a transformé le monde, il a imposé le concept de la « guerre contre la terreur ». Bush vit dans cette fantaisie d’être un « war president » comme Roosevelt ou Churchill ! Il se voit lui-même comme un guerrier ! Au fond, c’est après le 11 septembre et par la guerre qu’il a trouvé sa place, son statut, sa mission. Quoi qu’on en pense, il a eu un impact majeur sur le monde.
Je est moi-même
Je ne crois pas que Bush soit stupide, il est juste inculte, pas du tout intéressé par la chose intellectuelle, incapable de la moindre auto-analyse comme je le montre à la fin du film lorsque la question d’un journaliste, sur ses erreurs éventuelles comme président, le laisse sans voix. Il voit le monde en des termes très simples, manichéens, idéalistes. Le Bien contre le Mal, Eux contre Nous… Il se considère comme un idéaliste croyant au système capitaliste, au marché libre. Pour lui, l’Irak était le modèle parfait d’un monde désirant partout la démocratie.
Le fils prodige featuring Icare
J’ai construit le film en trois actes : la jeunesse, la quarantaine et le moment où il devient président. Dans les deux premiers, c’est le fils prodige qui retourne à la maison ; dans le troisième acte, il devient Icare. Il revient à la maison en mauvaise graine. Il met des ailes pour voler plus haut que son père, mais lorsqu’il approche du soleil, ses ailes fondent. Pour moi, lorsqu’il devient président, c’est la fin. Que fait-il alors ? Il use de la puissance au lieu de la diplomatie. Je ne suis ni journaliste ni documentariste, je suis cinéaste. Or, un dramaturge doit marcher dans les chaussures de son personnage. Il faut voir la vie comme il la voit. Alors bien sûr, c’est un petit peu comique. On le prend pour un soufflet, mais Bush est consistant et lourd. Il a vraiment ce côté opéra bouffe.
Rio Busho
Notre modèle économique était The Queen de Stephen Frears. Je voulais que le film reste serré sur le personnage qui vit dans sa bulle, la « Bush Bubble ». C’est le cas de tous les présidents, mais là, la bulle est particulièrement hermétique. Il a dit à sa femme : « Tu sais écouter, je sais parler, nous formons un bon alliage ». Bush n’est pas un homme avec du charisme. Il s’est converti, il a lu la Bible, il a arrêté de boire, il a une volonté énorme, mais il n’y a aucun signe chez lui de conscience du monde et de l’autre, il souffre d’un manque d’empathie terrible. Il a aussi un ego important. C’est pour cela que les Évangélistes l’aiment autant. Dans son cœur, je crois que c’est un idéaliste. Il se prend pour un bon gars, un type à la John Wayne qui lutte contre les Indiens. Wayne haïssait les gauchistes, les communistes, mais nous aimons l’acteur, l’homme de cinéma. C’est le paradoxe humain. Vous souvenez-vous d'Un homme dans la foule de Kazan ? Un homme inconnu sort de n’importe où, devient gouverneur, mais c’est un salaud.
Churchill en toc
Bush a pensé à un moment que son père était faible. La défaite de Bush père contre Clinton en 1992 fut un choc immense pour toute la famille. Ils ont pensé que le père avait perdu en partie parce qu’il n’avait pas nettoyé la situation « Saddam Hussein », qu’il n’avait pas de vision claire, contrairement à Reagan. Reagan est au fond le vrai héros de Bush, avec Churchill. Mais lui et son père ont été tous deux obsédés par le syndrome « beating the Vietnam ».
God Bless Obama
Bush a changé la façon dont le monde fonctionne, il a changé notre Constitution, il a changé les lois, il s’est engagé dans trois guerres. Cet homme a déconstruit l’économie. C’est peut-être une patate en tant que personne, mais c’est un type important. Nos enfants et nos petits-enfants continueront sans doute de parler de lui et de ce qu’il a fait dans vingt ou trente ans. Et ce qu’il pense ne disparaîtra pas en 2009. J’espère qu'Obama va gagner (interview réalisée avant son élection pour la sortie du film, NDLR), mais il y a un chemin tellement long à parcourir… Obama a une chance de devenir une figure réformatrice, ce qui est crucial, mais il y a tellement de rancœur, tellement d’intérêts économiques contre lui, que le système peut se retourner contre lui en une fraction de seconde. Il a cent jours.
Bush subtil ?
Bush est un président qui incarne une sorte de retour, de récession vers ce qu’était l’Amérique dans les années 50. J’étais à Yale dans la même promotion que lui. Il comprend vaguement la dynamique des choses, mais ne lit pas, pas plus quatre pages, ne s’informe pas, ce n’est pas un homme de détail et de nuance. Comme Reagan d’ailleurs. Or, toutes ses erreurs, de Katrina à l’Irak, sont la résultante d’une mauvaise analyse de la situation. Il a obtenu un MBA à Harvard et cela fout la honte aux gens d’Harvard, même si une rumeur dit que c’est le père qui a tiré les ficelles de son diplôme.
Les cons et les autres
Vous savez, lorsque j’ai tourné Wall Street, des gens m’ont dit que pour eux, le héros du film, était Gordon Gekko, ce financier cynique joué par Michael Douglas. Concernant Bush, certains me diront sans doute que Bush est un type formidable et ils s’identifieront à lui. Que puis-je faire contre cela ? Quelle est ma responsabilité ? Dans Wall Street, j’ai tenté de montrer l’illusion et l’excitation de ces gens-là, au sommet d’un pouvoir économique ou politique.