le 09 juin 2014 - 12h45

Nic Pizzolatto

De passage à Paris, Nic Pizzolatto, l’auteur de True Detective, la série à sensation de l’année 2014, est en pleine écriture de la saison 2. Il en profite pour se confier sur la série et son expérience inoubliable avec Matthew McConaughey et Woody Harrelson.
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Comment se passe l’écriture de la deuxième saison de True Detective ?

 

NP (à gauche sur la photo, Matthew McConaughey à droite) : pour le moment, cela se passe plutôt pas mal, j’ai déjà écrit les deux premiers épisodes. On va attaquer le casting en juin. Je m’amuse beaucoup.

 

Est‑ce que le succès de la saison 1 est une pression supplémentaire pour vous ?

 

Ça ne m’affecte pas plus que ça. Lorsque j’écris, j’arrive à m’isoler complètement du reste. Je suis dans ma bulle. De toute façon, c’est la seule méthode qui me convienne pour trouver l’inspiration. Quel que soit le succès de la saison 1, il vient du fait que j’écrivais dans un isolement total. Personne ne se souciait de moi au moment où j’écrivais la saison 1 de True Detective. Et puisque cela m’a conduit dans ce « pétrin », je vais continuer à appliquer la même méthode pour la saison 2, comme si personne ne me regardait écrire à part moi même, pour me faire plaisir.

 

Avez-vous déjà en tête les acteurs/actrices que vous aimeriez obtenir ?

 

Oui, j’écris la saison 2 en pensant à eux pour incarner mes personnages, comme je l’avais fait avec Matthew McConaughey et Woody Harrelson pour la première saison. Mais mes lèvres sont scellées !

 

Comment s’est passée votre collaboration avec Matthew McConaughey sur le tournage de la série ?

 

Cela a été merveilleux. J’ai vraiment adoré travailler avec lui et je cherche même un sujet sur lequel nous pourrions collaborer une nouvelle fois ensemble. Je continue d’ailleurs à le fréquenter très souvent, au même titre que beaucoup d’autres personnes qui ont collaboré à la série. J’étais tous les jours sur le tournage de la première saison, particulièrement pour le personnage de Cohle, pour que ses dialogues fassent sens. Matthew avait besoin que je lui donne des éléments d’émotion réalistes et que je lui décrive les intentions de son personnage. Nous avons eu de merveilleuses conversations à ce sujet, à propos de Rust, de ses motivations, de ses paroles, de ses actions, de son histoire personnelle, et Matthew n’est jamais arrivé avec l’intention de changer une ligne. Pas une seule ligne du script de ce personnage n’a été modifiée. Concernant Hart, Woody m’a été d’une grande aide, en travaillant avec lui, j’ai réussi à en faire un personnage plus solide, capable de rester sur le même pied d’égalité que Cohle. Parfois, Woody me demandait de lui donner quelque chose d’un peu plus drôle, et j’étais très content de faire plusieurs tentatives grâce à lui, auxquelles je n’aurais pas pensé tout seul. J’ai vraiment adoré travailler avec ces deux acteurs. Je vous garantis que si je reste dans ce business, je retravaillerai avec eux.

 

Comment expliquez‑vous l’engouement actuel du public et de Hollywood pour le Sud des États‑Unis et le mouvement « Southern Gothic » ?

 

Vous savez, je suis totalement inconscient de ce qui marche ou non. Je me tiens loin d’internet. Je ne vis pas à Los Angeles mais dans une petite ville de montagne à 2 heures de route qui n’a pas changé en quinze ans, donc vraiment, je ne sais pas du tout ce qui est tendance ou pas (rires).

 

Quelle place a la religion dans votre écriture ?

 

Pour moi, ce n’est « que » l’univers dans lequel j’ai grandi, c’est imprimé en moi ; la ferveur religieuse couplée à la sensibilité macabre de l’Histoire refoulée, la nature oppressante… Tout cela forme un aspect très important de mes obsessions artistiques. J’ai grandi dans une famille ultra‑catholique, et dans la Louisiane du Sud, le catholicisme est particulièrement mystique. Ça se traduit par des reliques, des rituels, des prières adressées à différents Saints, à différents moments… J’ai grandi avec des parents qui croyaient à l’apparition magique de la Vierge Marie en Yougoslavie, et à la fin du monde qui allait arriver d’un moment à l’autre. J’ai toujours été conscient de l’incroyable et dangereux pouvoir de la croyance, et même enfant, j’avais conscience que mon monde était contrôlé par les croyances. Mais loin de moi la volonté de vouloir briser la foi de quelqu’un, bien au contraire. Mais forcément, les croyances occupent une place prépondérante dans mes obsessions artistiques, tout comme la construction narrative d’une histoire. Une des leçons que l’on peut tirer de True Detective, c’est que nous devons faire très attention aux histoires que l’on se raconte à nous‑mêmes.

 

Le temps occupe une place prépondérante dans True Detective, il y est très changeant, chargé d’ambiance mystique, est‑ce un élément important de votre écriture ?

 

C’est la Louisiane ! Je pense que beaucoup de personnes ont été captivées par la simple vision réaliste de cet État. On a filmé tous les lieux dans lesquels j’ai grandi dans le Sud de la Louisiane, et que je n’ai quittés qu’à 22 ans. Et ce sont des endroits visuellement surréalistes et hallucinants. Il y a ces incroyables levers et couchers de soleil à cause de la pollution, due aux substances que rejettent les raffineries. J’ai toujours été très sensible à la lumière et à la nature. Le paysage est toujours un personnage à part entière dans tout ce que je crée. La météo a d’autant plus influencé True Detective qu’on ne peut pas la contrôler. Quand on se disait que le temps ne pouvait pas devenir plus mauvais, ça s’empirait encore plus, on était entourés d’alligators et de serpents d’eau, et on a connu des orages torrentiels sur le tournage.

 

La musique est également très présente. Y pensez‑vous déjà, comme Quentin Tarantino, quand vous écrivez ?

 

Tout à fait. J’écris des scripts très détaillés : instructions de mise en scène, angles de caméra, musique, même si ce n’est pas précisément celle que l’on utilisera au final. C’est important pour moi de donner une idée de la musicalité de la scène et de l’effet que je veux que la mélodie produise. La musique est très importante pour moi, elle m’aide à structurer les épisodes. Après tout, True Detective, avec ses différents épisodes, ses variations, son rythme étrange et son histoire globale est construit comme un morceau de musique.

 

Justement, pour parvenir à cette narration déstructurée, avez‑vous écrit l’histoire par époque ou de manière linéaire ?

 

J’ai écrit toute l’histoire d’un coup. J’avais déjà en tête les moments importants et je connaissais déjà très bien les personnages quand j’ai commencé à l’écrire. Je pense qu’on ne doit pas commencer un voyage sans avoir une destination en tête. Mais j’ai autorisé ensuite les personnages à s’enfuir avec l’histoire, à les laisser me conduire là où ils souhaitaient s’aventurer… C’est d’ailleurs ce que je préfère, quand le personnage prend le pas sur tout le reste, et jette par la fenêtre tous mes plans de départ.

 

La première séquence de la série montre les deux héros en mauvaise posture, dans un champ que quelqu’un ensuite va incendier. Pourquoi cette première séquence reste sans explication jusqu’à la fin de la série ?

 

Oui. J’ai eu un énorme problème avec cette séquence (rire). Au départ, je me suis autorisé plusieurs points de vue de narration. Puis, une fois que cette scène avait été conçue avec un troisième point de vue, nous avons décidé que tout le reste de la série serait uniquement issu du point de vue des deux héros. Sauf pour la fin de l’épisode 7 et l’épisode 8 où nous commencions par ce troisième point de vue mystérieux et nous terminions avec lui, c’était symétrique. Mais nous n’avons pas pu le faire. Donc cette première séquence ne vous donne pas un contexte, c’est comme une incantation, un démarrage, et ensuite le contexte des personnages apparaît et la série commence. J’espère ce que je viens de vous dire à du sens (rire).

 

Allez-vous continuer à faire des séries ?

 

Faire cette série, écrire chaque script, être tout le temps présent sur le tournage, avoir le dernier mot sur chacune des décisions artistiques, travailler sur la post‑production, la bande originale, c’est tellement immersif et ça demande tellement d’implication que ça ne me paraît pas pouvoir être durable. Mais ils vont devoir me demander de partir, parce que tant que je serai autorisé à faire de la télé pour HBO, à bénéficier de la liberté créative qu’ils m’ont donnée, je ne claquerai pas la porte, il faudrait être vraiment idiot.

 

Avez-vous d’autres projets de séries ?

 

Il y a plein de shows que j’aimerais faire. Mais ma série rêvée comporterait certainement deux plateaux de tournage : le premier à l’intérieur d’un bar de quartier, et le second juste à l’extérieur de ce bar, pour mettre en scène ce qui se raconte dans la rue. Les gens viendraient, s’en iraient et parleraient. C’est tout . Cette interview a été réalisée à plusieurs journalistes, dont Cédric Melon (NDLR).

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