le 11 mars 2011 - 13h22

Alexandre Aja

Il est jeune, il est doué, il est Français. Et il signe une pépite horrifique à la fois drôle et gore. Les amateurs seront servis et les autres feindront de trouver ça écœurant, tout en dévorant le film d’un œil discret et honteux… Retour sur la production d’un film pas comme les autres en compagnie de son auteur.
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J’imagine que le positionnement marketing de Piranha 3D, film à la fois très gore et très léger, fut un casse‑tête pour le studio Dimension…

 

Disons que la critique américaine, qui a défendu le film, a compris le ton, ce qui ne fut pas le cas du studio. Il a essayé de mentir au public en le vendant comme de l’horreur premier degré, alors qu’il s’agissait d’un film potache, où l’on passe du rire à la peur sur un mode très léger. Sea, sex and blood ! Et il est sorti trop tard, des mois après le Spring break, en plein mois d’août. En fait, les dirigeants de Dimension ont été échaudés par Grindhouse de Rodriguez, une comédie horrifique qui fut un échec cuisant en salles.

 

Avec ce film, alors que vous auriez pu, après Mirrors, sortir du genre, vous retournez à la case départ. N’était-ce pas un risque ?

 

Oui, beaucoup de gens autour de moi n’ont pas compris ce revirement ! En fait, j’avais reçu le script juste après Haute tension et j’ai toujours eu envie de faire un film ludique, plein d’humour noir et de second degré, loin du sérieux glauque et dérangeant des films d’horreur du début des années 2000. On m’a proposé de le faire alors que j’étais déjà parti sur le tournage de Mirrors. Je me suis dit que si je ne faisais pas maintenant ce film que j’aurais aimé voir à 14 ans, je ne le ferais sans doute jamais.

 

Jusqu’à La colline a des yeux, votre cinéphilie, ce sont les années 1970, tandis que dans Piranha, on est dans le post‑Spielberg. Vos piranhas n’incarnent‑ils pas, comme le requin des Dents de la mer, un désir puritain de bouffer ce qu’il y a de libidinal et de libertaire chez cette jeunesse ?

 

J’ai grandi dans les années 1980 avec E.T, Gremlins, Les Goonies et Indiana Jones, et ce n’est qu’à partir de 12 ans que j’ai découvert le cinéma des années 1970, une véritable révélation qui va me conduire à Haute tension et à La colline. Avec Piranha, on est vraiment dans les Gremlins, c’est vrai. Cela dit, j’ai une lecture différente du film. En me penchant sur le Spring break, je me suis rendu compte que c’était aussi une parfaite métaphore de l’Amérique, de ses contradictions et de ses paradoxes. C’est une sorte d’échec absolu d’une idéologie de la fête née à Woodstock, soit une quête de liberté, de sexualité et de spiritualité, qui a dégénéré vers une célébration stérile de l’apparence, qui va des tatouages aux seins siliconés. Le Spring break, c’est un faux plaisir, une sorte d’exutoire pour une jeunesse brimée à l’intérieur d’une société puritaine que j’ai tenu à représenter selon les codes de MTV et les clips de David LaChapelle. Ce qui m’a marqué, c’est la tristesse des témoignages, la misère sexuelle des participants et le formatage imposé : les filles doivent embrasser une autre fille dès qu’elles arrivent, il faut qu’elles montrent leurs seins si un garçon leur offre un collier de perles, il faut se bourrer la gueule du matin au soir, etc. Tout cela est imposé, rien n’est réellement désiré. Je trouvais donc que l’idée de lâcher des piranhas pour aller dévorer cette société de consommation avait quelque chose d’assez amusant. Et puis la crise financière est survenue au moment de l’écriture et le tremblement de terre qui ouvre le film avait quelque chose de libérateur, comme un effet miroir qui nous rattrape.

 

Si le film d’horreur, c’est toujours l’histoire d’un refoulé, on peut se demander de quelle nature est le refoulé ici, puisque le film s’achève tout de même sur l’image d’une famille réconciliée. C’est donc à cela qu’auront servi les bestioles ? Rétablir un ordre familial ?

 

Cette famille ne va sans doute pas rester unie longtemps. Ils sont quand même ultra‑Bush. La mère shérif sort son Tazer à tout de bout de champ ! Même si elle a ce côté très sympa des Américains, même quand ils sont de droite ! Vous savez, les flics qui tiennent ces endroits sont très durs et virulents avec cette jeunesse…

 

Votre film décolle vraiment au moment du massacre…

 

Au fond, c’est pour cette séquence que je l’ai tourné. Je me souviens que le studio voulait que j’enlève le Spring Break, parce que ça coûtait trop cher. Il voulait un groupe de personnes isolées sur un lac, une sorte de « Colline a des yeux sur l’eau », alors que ce qui m’intéressait, c’était de filmer cette Amérique attaquée par des poissons. Je voulais retrouver ce côté Gremlins pour adultes.

 

Mais contrairement aux Gremlins, que l’on peut distinguer les uns des autres, vos piranhas sont traités en meute. Pourquoi ?

 

Je suis longtemps resté entre les deux, mais je n’ai pas eu les moyens de pouvoir les identifier. Sans aller jusqu’au chef des Gremlins et sa crête, j’aurais aimé les anthropomorphiser un peu plus. Insuffler un peu plus d’humanité dans ces piranhas, afin de pouvoir être un peu plus de leur côté.

 

En France, les films de genre sont produits pour 2 ou 3 millions d’euros. Est-ce pour cette unique raison financière qu’ils sont si mauvais ?

 

Je le crois, parce que cette enveloppe limite les possibilités à des films du type Haute tension, Frontières, etc. On ne peut pas faire L’orphelinat avec 2 ou 3 millions. Or, l’Espagne a réussi à rendre le cinéma de genre populaire en donnant sa chance à des films d’horreur qu’elle produits pour 10 à 15 millions d’euros. Et ces films font 3 ou 4 millions d’entrées ! En France, on a jamais réussi à faire cela. Nos films font, dans le meilleur des cas, 200 000 entrées. Pourtant, certains films de genre américains atteignent le million. C’est donc la preuve qu’il y a un public pour cela, mais les mêmes spectateurs ne sont pas prêts à aller voir ces films d’horreur français qui se ressemblent tous, fauchés, glauques et dérangeants. Au fond, c’est Haute tension qui a créé ce modèle économique. Luc Besson, le producteur, a ouvert la voie. Il a survendu le film dans le monde, a généré beaucoup de recettes grâce aux ventes internationales, au point que la sortie française est devenue presque périphérique. C’est un modèle économique viable mais qui, en France, bloque toute la créativité du genre.

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