Comment avez-vous fait la connaissance de Philippe Claudel ?
J’avais déjà lu son livre et je me suis retrouvée avec lui un jour au café. Je lui ai demandé d’écrire un film pour deux filles. À ce moment-là, je ne pensais pas à Il y a longtemps que je t’aime. C'était plus une envie, car j’adorais son style d’écriture, sa façon de raconter les personnages ambigus et paradoxaux, sa manière d’aborder le Bien, le Mal et la rédemption. Il m’a répondu que, justement, il était en train de penser à un film avec deux femmes. Une semaine après, il me téléphonait en me disant : « Tu sais, j’y pense à cette histoire… ». Puis je n’ai plus eu de nouvelles. Et quelques mois après, je recevais le scénario. En fait, il a écrit le rôle pour moi. Je ne suis pour rien dans l’histoire, mais il y a eu un désir commun de travailler ensemble.
Auriez-vous aimé jouer Juliette, le personnage interprété par Kristin Scott Thomas ?
Pas du tout. Je n’ai jamais eu de doute par rapport à ça. D’une part, je suis trop jeune pour le personnage. Et d’autre part, Philippe a écrit le rôle de Léa pour moi. En plus, Juliette a ce côté monolithique, enfermé dans sa bulle. Léa est plus en subtilité, en nuance. J'aime ça.
Comment avez-vous préparé ce rôle ?
C’était vraiment une drôle de préparation, dans la mesure où je me demandais sans arrêt comment j’allais jouer le manque. Je m’étais toujours dit : « Léa, elle a mangé Juliette ». C’est elle, mais à l’intérieur, c’est Juliette. Toute sa vie, ça a été comme ça. Et lorsque sa sœur revient, tout commence à vaciller. Elle est en dépendance, maladroite et gauche, presque perdue. Elle redevient la « petite sœur ». À la fin du film, elle est enfin femme. En fait, j'ai compris que l'une avait réellement été en prison, mais que l'autre était murée dans ses croyances, ses interdits, sa honte et sa culpabilité. J'ai principalement travaillé sur ça pour Léa.
Léa refuse la réalité ?
Elle a fait un déni. C’est un personnage plein de conventions. On lui a dit d'oublier sa sœur. La société, ses parents, tout le monde lui a dit. Mais c'est elle qui a disparu en même temps. En fait, ce personnage ressemble de loin à la petite Elsa que j’étais. Heureusement, je ne suis plus du tout pareil aujourd’hui. Mais j’ai été élevée assez durement. Jusqu'à 18 ans, j’étais enfermée ans un carcan. Alors Léa, je la comprends.
Philippe Claudel réussit à ne pas faire de voyeurisme ni de pathos. Un tour de force…
Je crois que ça vient du fait que Philippe coupe toutes les scènes au bon moment. Lorsqu’on a projeté le film aux Américains, ils ont adoré. Ils ont particulièrement apprécié que le film ne tombe jamais dans le mélo. Ce n’est pas du tout un long métrage embourbé dans le pathos. Philippe termine toutes ses scènes là où un réalisateur américain les aurait commencées. Dès le début, j’ai senti chez Philippe qu’il pourrait écrire des rôles fabuleux. Il a une force comparable à celle des films de Sean Penn ou Clint Eastwood.
Comment le tournage s’est-il passé avec Kristin Scott Thomas ?
On n’est pas amies. On ne voulait pas devenir amies. On était juste deux actrices. Je ne souhaitais pas la rencontrer avant le tournage. Un peu comme dans le film. Sans vouloir faire ma Daniel Day Lewis (rires)… Il parait qu’il ne parle pas aux gens qu’il ne doit pas aimer dans le film ! On a fait une seule lecture ensemble et, pendant tout le tournage, on s’est regardées comme deux animaux qui s’observent. Je pense que nous sommes deux actrices du même genre qui s’investissent intensément dans leurs rôles.
Que pensez-vous du parcours du film ?
Vous vous rendez compte qu’il a fait pratiquement 1 million d’entrées ? Je suis tellement fière de ce film. Il arrive en DVD et va bientôt sortir à Los Angeles. Je suis très contente de l’avoir fait et je rêve de retravailler avec Philippe Claudel.