le 06 juin 2008 - 15h40

Edward Zwick

À une époque où le politiquement correct prévaut, Edward Zwick fait figure d’exception dans le paysage hollywoodien actuel. Un statut qu’il revendique pleinement.
A
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Quelle a été votre première motivation pour ce film ?

 

J’ai eu le déclic lorsque j’ai lu de nombreux articles sur l’extraction sauvage des diamants en Afrique. « Les diamants de la guerre » sont des pierres précieuses recueillies par de puissants industriels qui profitent des conflits dans les pays pauvres pour les exporter secrètement. Beaucoup de journalistes ont tenté de dénoncer ces faits, au péril de leur vie. Les profits réalisés par ces ventes illégales servent à acheter des armes qui provoquent des destructions et sont responsables de la mort de milliers de personnes. En lisant ces récits, je n’arrivais pas à croire que des actions aussi graves soient connues de si peu de personnes. J’ai décidé d’approfondir mes recherches. Plus j’en apprenais sur le sujet, plus j’étais horrifié et plus j’avais envie de raconter cette histoire.

 

 

Est-ce difficile de mélanger fiction et réalité sur un sujet aussi grave ?

 

Vous savez, ce n’est pas la première fois que je me sers, dans un de mes films, de la réalité historique pour raconter un destin et des personnages imaginaires. C’est un exercice extrêmement délicat. Le mélange entre fiction et réalité historique plus ou moins récente est un genre très courant dans la littérature. Il n’y a pas meilleur support que la réalité pour raconter une fiction. Cela rend le récit plus accessible et plus crédible. Mais c'est très complexe.

 

 

Quelle est votre méthode pour à la fois séduire le spectateur grand amateur de divertissement et ne pas trahir la réalité crue que vous voulez dénoncer ?

 

Il s’agit toujours d’essayer de concilier la dialectique de l’Histoire et le contexte politique réel avec la structure narrative et les personnages d’un film. Le meilleur moyen que j’ai trouvé pour réunir les deux, c’est de faire en sorte que l’Histoire et la politique soient intrinsèquement liées au destin des personnages. Ces deux notions définissent ce qu’ils veulent et nourrissent leur destin. Le désir ou les ambitions qu’ils peuvent avoir sont, d’une façon ou d’une autre, liées de manière quasi organique aux circonstances historiques et politiques. Par exemple, le personnage joué par Leo tente de ne pas s’impliquer dans le contexte politique dans lequel il évolue, mais son passé et son destin l’obligent à la fin du film à faire un choix.

 

 

La journaliste interprétée par Jennifer Connelly est le personnage le plus naïf du film. Faut-il y voir une métaphore ?

 

Oui, c’est une idéaliste avant tout. Elle est comme la majorité des Américains qui pensent pouvoir résoudre facilement des problèmes qui appartiennent à une réalité extrêmement complexe. La grosse différence d’implication entre son personnage et celui de Leo, c’est qu’elle sait qu’elle va pouvoir partir. Sa vie n’est pas là, tandis que lui, il a choisi de vivre sur place. Pour ce que j’en sais, c’est le lot de tous les reporters qui couvrent un conflit en dehors de chez eux. Ils ne réagissent pas de tout de la même façon que quelqu’un qui vit le conflit chez lui.

 

 

Au cours de certains dialogues percutants, vous allez très loin dans la dénonciation de la politique étrangère US, notamment le conflit irakien…

 

Je pense que vous faites référence à un dialogue en particulier, où un villageois d’un certain âge déambule au milieu de son village ravagé par la guerre et demande à Djimon Hounsou : « Mais qu’est-ce que veut ce Blanc en venant ici ? » Il est rassuré quand Djimon Hounsou lui répond qu’il cherche un diamant. Il conclut en disant : « Je suis plus serein, parce que s’il avait été là pour le pétrole, cela aurait été pire… ». Croyez-le ou non, je n’ai pas inventé cette réplique, j’ai entendu quelqu’un dire cela alors que nous étions en Sierra Leone. En Afrique et ailleurs, les conflits sont très souvent nés de la convoitise. Un jour, c’est le caoutchouc, un autre l’or ou les diamants, et bien évidement le pétrole… Malheureusement, je pense que dans un futur plus ou moins proche, les hommes se battront pour l’eau. C’est même déjà le cas au Darfour et ailleurs.

 

 

Vous attendiez-vous à une réaction aussi hostile et virulente de la part de l’industrie diamantaire américaine, avant même que le film ne soit sorti

en salles ?

 

(sourire malicieux). Je crois que oui. Je vous mentirais en prétendant le contraire. Le travail de ces gens-là consiste à entretenir une image clean du diamant, symbole d’innocence et d’amour. C’est mon travail que d’écorner cette image quand elle ne correspond pas

à la réalité.

 

 

Avez-vous eu du mal à trouver le financement nécessaire pour mener à terme ce projet ?

 

La chose la plus incroyable avec ce film, c’est qu’il existe ! Je pense que l’époque, le contexte économique et l’industrie du film à Hollywood sont autant d’éléments qui compliquent la faisabilité de ce genre de projet. Je suis tout à fait conscient que sans Leonardo DiCaprio, jamais Blood Diamond n’aurait vu le jour. Il faut aussi que je nuance mon propos en précisant que quelques personnes au sein du studio ont eux aussi pris des risques. Au final, ils ont récupéré leur mise et ont même enregistré quelques bénéfices. Comme quoi, il ne faut pas désespérer, le cinéma n’est pas encore mort.

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