le 17 mars 2010 - 14h41

Christian Carion

Après Joyeux Noël, Christian Carion, fan du cinéma américain des Seventies, s’attaque à un autre pan de notre Histoire, celui de la Guerre Froide et de ses rhizomes souterrains et invisibles. Un film‑dossier d’une rare complexité sur lequel il revient avec plaisir.
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Qu’est-ce qui a déclenché chez vous l’envie de faire de cette affaire d’État un film ?

 

La première étincelle vient du fait qu’il y a un type à Moscou qui a dit un jour, un petit peu dans l’indifférence générale : « Je peux changer le monde ». Trois mois après, il y a deux présidents et pas des moindres -puisqu’il s’agit de Mitterrand et de Reagan- qui vont se rencontrer à cause de lui. Voilà ce qui m’a tout de suite séduit.

 

On imagine que vous avez dû découvrir pas mal de choses sur cet étrange personnage en faisant vos recherches…

 

Je sortais de Joyeux Noël, j’étais formaté et je voulais absolument raconter la vérité. Puis je me suis très vite rendu compte qu’il n’y avait pas de vérité. Pour les Russes, c’était un abruti, un alcoolique, un type pas sérieux et vénal. Pour les Français, il représentait tout à fait autre chose, et encore autre chose pour les Américains. Il y a même des éléments contradictoires entre ce que pouvaient dire sa femme et son fils à son sujet. À partir de là, je me dis que je ne connaîtrai jamais la vérité et que ce personnage était suffisamment complexe et malin pour donner des impressions et des sentiments différents selon ses interlocuteurs.

 

Dans ces conditions, comment l’avez-vous abordé d’un point de vue scénaristique ?

 

Je me suis fait ma propre idée. Je pense que, comme tous ces gens-là à l’époque, il était idéaliste. Il y a cru au communisme et il a été d’autant plus déçu par le résultat qu’il y croyait fort. Il était dans la désillusion totale. Dans un second temps, il pense que ses patrons étaient archi‑nuls. Il leur était bien supérieur. Mais chez lui, il était méprisé par son fils. En fait, le personnage, c’est toutes ces données réunies en une seule et même personne.

 

Pourquoi avez-vous choisi de démultiplier les travellings dans votre mise en scène ?

 

C’est un peu mon tempérament. Je trouvais cela bien parce qu’il y avait une espèce de fluidité là-dedans. En fait, j’ai demandé à l’équipe de revoir un film américain pendant la préparation, qui était ma référence en termes de mise en scène : Les hommes du président d’Alan J. Pakula.

 

Pourquoi ce film-là ?

 

Ce film est fascinant. Il est sorti en 1976, soit trois ans à peine après la destitution de Nixon. Ça, c’est la force du cinéma américain. Deux journalistes du Washington Post font tomber le président des États-Unis et les Américains sont capables d’en faire un film presque immédiatement. Nous, en France, il faut non seulement attendre que les gens soient morts, mais que leurs avocats aussi soient morts. Ça prend des années…. Et puis cinématographiquement, il est extraordinaire. Tout est fascinant, alors qu’il ne se passe quasiment rien à l’écran. C’est aussi un cinéma militant qui me plaît.

 

Pourquoi le cinéaste Kusturica comme comédien, au demeurant excellent dans le rôle ?

 

Au début, je voulais que ce soit un acteur russe, car je souhaitais que tout le monde parle cette langue. J’avais d’ailleurs trouvé un comédien magnifique. Il est venu à Paris et on a fait des répétitions. Tout se passait bien. Mais à six semaines du tournage, il a reçu un appel d’un homme influent de l’Ambassade de Russie à Paris. Il lui a dit à peu près ceci : « Sergei, vous êtes un acteur magnifique, le peuple russe vous adore, et il a raison parce que le peuple russe a bon goût. Mais le peuple russe, justement, il ne comprendra jamais pourquoi vous avez accepté de défendre et d’interpréter un salaud, un traître, une ordure… Réfléchissez ! ». Il a vite réfléchi, il a eu la trouille et nous a laissés tomber. D’un seul coup, on a compris qu’aucun acteur russe ne viendrait sur le film, et que les autorisations de tournage à Moscou, on pouvait les oublier. Finalement, les plans de la Place Rouge, on les a volés, et quarante‑huit heures après avoir eu l’idée de Kusturica, il était de la fête. Finalement, on s’en est très bien sortis.

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