le 12 avril 2010 - 12h43

Alanis Obomsawin

Alanis Obomsawin, fidèle à ses engagements à l’égard des luttes amérindiennes (Kanehsatake, 270 ans de résistance, Pluie de pierres à Whiskey Trench), réalise pour la première fois un documentaire sur un thème non-autochtone : le licenciement du professeur Norman Cornett, à l’université McGill de Montréal. Au‑delà du débat sur ce renvoi après quinze années d’exercice, c’est au droit à la liberté d’expression que la réalisatrice amérindienne s’attache.

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Le professeur Norman Cornett a élaboré un module d’enseignement unique, des « sessions dialogiques », au cours desquelles étudiants et experts (artistes, politiciens, scientifiques…) confrontent leurs points de vue, sans aucune censure. Dynamique, cette approche a conquis les étudiants, mais a aussi été considérée subversive par certains. Et pourtant, déclare Norman Cornett : « À Montréal, le taux de décrochage des étudiants va parfois jusqu’à 50%, on ne sollicite pas leur imaginaire, et cette mort intellectuelle les ennuie ! ».

 

Le professeur Norman Cornett, présenté lors de la dix‑neuvième édition du Festival Présence Autochtone de Montréal 2009, révèle un enseignement surprenant, « où tout devient possible », s’enthousiasme Alanis Obomsawin.

 

Depuis le début de votre carrière, c’est la première fois que vous abordez un sujet non-autochtone. Pourquoi avez-vous décidé de réaliser un documentaire sur le professeur Cornett ?

 


AO : le professeur Norman Cornett nous avait convié, le ministre des Affaires Indiennes et moi, à son cours, en 2001, et sa manière d’enseigner m’avait épatée. Je connais bien le milieu universitaire, mais je n’avais encore jamais vu un tel enseignement : les élèves étaient si motivés qu’ils ne manquaient jamais un cours ! La classe était un lieu de rencontres. Et pour moi, qui ai débuté ma carrière en organisant des débats autour de l’éducation -au regard de ce qui nous est arrivé dans les « écoles résidentielles »-, j’ai retrouvé de l’espoir grâce à son enseignement. J’ai découvert une dimension que je n’avais pas perçue dans un cadre universitaire. Ce type d’éducation donne du courage, une vision de soi, de ses capacités, où tout devient possible. Je suis donc retournée à ses cours, et lorsqu’on m’a proposé de tourner un film sur lui, j’ai accepté volontiers.

 

Au regard de vos précédents films, et de votre lutte contre les injustices, aborder le conflit du professeur Cornett au sein de l’institution McGill, n’était-ce pas une façon de perpétuer une action militante contre une forme d’oppression ?

 


AO : en fait, j’estimais que l’université McGill aurait dû le féliciter : avoir un professeur qui enseigne ainsi, et dont l’intérêt dépasse le simple fait d’accompagner une thèse, voilà qui est vraiment réconfortant ! Les étudiants arrivaient en cours enthousiastes, et j’avais l’impression d’assister au début d’un concert, lorsque les musiciens accordent leurs instruments. On ne savait jamais ce qui allait se passer ; c’était très excitant ! Son licenciement a représenté une grande perte, et a privé les jeunes d’un enseignement unique, dans des classes qui étaient de vraies communautés.

 

En redonnant la parole au professeur Cornett, au moment même où on la lui retirait, votre film l’a sans doute aidé ?

 


AO : en effet, nous avons fait la première au Festival de Toronto, où je recevais l’Outstanding Award pour l’ensemble de mon œuvre, et depuis ce jour, il a changé : il communique à nouveau et reçoit une foule de mails, d’appels, de la part de gens qui souhaitent le contacter.

 

Quel a été votre canevas de réalisation ?

 


AO : le tournage a duré deux ans, et le montage plusieurs mois. Je démarre toujours par des entretiens. J’ai enregistré les étudiants chez moi. Je procède de même dans mes master class : je commence par le son, car cela donne plus de richesse au film. J’ai grandi dans la réserve, sans électricité, ni eau courante, à la lampe à huile. La nuit, nous ne sortions pas, et nous nous racontions des histoires. Nous avons ainsi appris à « voir » dans les paroles.

 

Vous construisez donc votre film autour du récit, en commençant par la narration ?

 


AO : je débute toujours par la parole et la prise de son, en enregistrant mes entretiens avant de tourner. Après des heures d’enregistrement, je commence la retranscription, puis j’étudie les entretiens. Ce n’est qu’après, lorsque j’ai saisi l’histoire, que je commence à filmer. À ce stade, les gens me connaissent, et cela est important pour l’atmosphère. Le récit est déterminant. J’ai procédé de la même façon pour ce film.

 

Comment expliquez-vous l’engouement des jeunes Amérindiens pour le cinéma, et son développement dans les communautés ?

 


AO : l’intérêt est énorme, car nous venons d’une culture orale, et sommes habitués à apprendre notre histoire par les récits des anciens ce qui, autrefois, se passait sur un mode imaginaire. Mais aujourd’hui, les jeunes ont compris les possibilités qui s’offraient à eux grâce à la vidéo. Le processus est lancé, et grâce aux opportunités de diffusion sur la chaîne autochtone Aptn, cela ne cessera d’évoluer !

Prochain Festival Présence Autochtone : du 17 au 28 juin 2010 à Montréal

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