Yes Man
Une dizaine d’années après Menteur, menteur, Jim Carrey -génial Jim Carrey- se retrouve à nouveau confronté à un problème de parole, donc de raccord entre ce qu’il pense et ce que le récit le conduira à faire. Autrement dit, le contraire.
Carrey, comme Jerry Lewis en son temps, possède en lui cette schizophrénie : d’un côté un look de gendre idéal et plutôt beau gosse, de l’autre, une physionomie soumise à des éclats anarchistes, des désarticulations brutales du corps et des dérèglements du langage à la mode cartoon.
Dépressif, solitaire, reclus dans son appartement à visionner en boucle des navets empruntés au vidéoclub du coin (300, Saw, Transformers : l’homme est vraiment au fond du tonneau), Carl ne s’est jamais remis d’une rupture amoureuse. Depuis, sa vie se résume à un seul mot : « non ». Refus et rejet de tout et des autres.
Un jour, il tombe sur l’une de ses anciennes connaissances, un buddy agaçant catégorie « bien dans ses pompes », qui l’enjoint à rejoindre la confrérie des « Yes Man ». Recta, Carl se retrouve à un show sectaire, au milieu de milliers de Kakous joviaux hypnotisés par le gourou du Oui (Terence Stamp, très bon). La philosophie du mouvement, qui n’avait pas encore pénétré nos terres à l’époque du référendum sur l’Europe, tient en une phrase : dire oui à tout. Carl se lance alors dans l’aventure -why not ?- et le film file sa métaphore : pas de vie intense sans ouverture au champ des possibles. Morale terne et bof. Mieux vaut la paix que la guerre, et comme certains « non » s’imposent malgré tout, l’ensemble s’achève sur un consensuel « peut-être ».
Comme la plupart des grandes comédies US récentes (Tonnerre sous les tropiques, Semi-Pro, La nuit au musée), Yes Man est un film-concept dont la qualité tient moins à un programme plutôt prévisible qu’à la façon de l’exécuter. Car le concept, pour séduisant qu’il soit, ne contient aucune tension -contrairement à l’avocat de Menteur, menteur contraint de dire la vérité- et ne débouche sur aucun retour de bâton type « le mieux est l’ennemi du bien ». Dire oui à un SDF qui vous emprunte votre portable et le paquet de dollars que vous avez en poche, c’est gentil mais dramatiquement peu intéressant.
Employé de banque, Carl se met donc à accepter systématiquement toutes les demandes de prêts, très bonne idée de départ et raison de plus de regretter que Peyton Reed, le réalisateur, n’ait pas emprunté, plutôt que la voie pavée de la bluette d’usage (avec Zooey Deschanel), celle du scénario économique post-Lehman & Brothers. Mais lorsqu’il sort de ce programme ronronnant, Yes Man offre quelques coups d’éclat, périphériques et sans doute trop rares, mais tout de même : une baston insensée dans l’arrière-cour d’une boîte parodiant celle de L’homme tranquille de Ford, une septuagénaire renouant avec les plaisirs de la fellation sans dentier, et Jim Carrey bien sûr qui, en roues libres, invente des merveilles de comédie.