West Side Story
L'histoire racontée dans le film de Robert Wise est connue : les Jets contre les Sharks, George Shakiris et Natalie Wood, stars de cette adaptation urbaine du Roméo et Juliette de Shakespeare. Secondé par Jerome Robbins, Robert Wise (La maison du Diable, Le jour où la Terre s’arrêta) signait en 1961 un monument de la comédie musicale et popularisait la représentation des gangs dans les quartiers de New York. Un chef‑d’œuvre à la musique inoubliable composée par Leonard Bernstein pour le musical de Broadway éponyme de 1957.
Aux origines
Ce que l'on sait moins en revanche, c'est qu'à part les airs classiques que jouait sa pianiste de mère à la maison, la partition de Leonard Bernstein fut la toute première expérience musicale du jeune Steven Spielberg qui, à l'âge de 10 ans, se repassait en boucle ces airs déjà indémodables : Something's Coming, Maria, America, Somewhere, Officer Krupke, Cool… On comprend alors mieux ce projet de longue date et si cher aux yeux du metteur en scène de Ready Player One (son père créa l'ordinateur GE‑225 pour General Electric en 1958, l'enfance et l'œuvre de Spielberg sont décidément indissociables…), soit tourner purement et simplement le remake d'un chef‑d'œuvre. Juste parce qu'il le voulait. Parce qu'il le pouvait. Et il le prouve.
Des chorégraphies grandioses
Sur un scénario de Tony Kushner, s'éloignant du livret d'origine d'Arthur Laurents pour notamment mieux mettre en valeur la présence des femmes, leur libre‑arbitre et leur capacité à apaiser les conflits, Spielberg laisse ainsi exploser sur près de 3 heures la musique, les voix et les images dans un grand tourbillon de chorégraphies à la fois délicieusement vintage et plus puissantes que jamais (pensées à chaque fois dans leur intégralité par Justin Peck). Après cinq mois de répétitions, la féerie peut débuter. Les acteurs ‑tous d'origine latino pour les Sharks‑ interprètent les chansons live, dansent et jouent de concert devant les caméras 35 mm de Spielberg, qui livre derrière chaque image un tableau doté d'une profondeur et d'une patine qui étonnent dès les premiers plans. La jeune Rachel Zegler, 18 ans, est toute aussi remarquable dans son premier rôle au cinéma. Et la scène du bal au gymnase, avec ses 180 figurants, 60 danseurs et sa spidercam, restera sans doute dans les mémoires.
Outre la forme, grandiose et taillée pour la 4K avec une majestuosité supplémentaire, le fond est toujours d'actualité. On comprend vite que les rapports conflictuels entre les Portoricains des Sharks et les Américains des Jets, qui se considèrent à tort comme « de souche » (en réalité de parents émigrés venus d'Irlande ou de Pologne), sont facilement transposables à certains conflits ethniques plus récents. Sans compter les autorités loin d'être toujours intègres.
Un classique trop classique ?
Au final, ce West Side Story 2021 est d'une beauté sans nom, monté à la perfection et bourré d'énergie, mais aussi parfois un peu lisse hormis quelques autocitations virtuoses comme ces ombres projetées des deux clans sur le point de s'affronter formant des mâchoires acérées (« Jaws »/Les dents de mer). Qu'importe, Steven Spielberg prouve une fois de plus qu'il est capable de tout faire, même un classique statutaire où rien ne dépasse mais où tout déborde de générosité.