Vertiges
Dans l’Italie des années 30, gouvernée par Mussolini, le professeur Bonaccorsi (Marcello Mastroianni) officie et réside dans l’hôpital psychiatrique de Lucques, en Toscane, dont il n’est pas sorti depuis des années. Persuadé qu’il existe un germe à l’origine de la propagation de la folie, le médecin va voir ses théories bousculées par l’arrivée d’une jeune praticienne adepte de Freud (Françoise Fabian), pour qui l’apparition de la folie est intrinsèquement liée à d’anciens traumatismes. Mais le libertin Bonaccorsi, qui entretient de multiples liaisons avec de séduisantes femmes vivant comme lui au sein de l’asile, va surtout être déstabilisé par la belle doctoresse qui ne semble pas succomber à son charme…
Cinéaste politique et brillant formaliste, Mauro Bolognini s’intéresse avec Vertiges, adaptation d’un roman de Mario Tobino, au fascisme et à ses répercussions sur une société italienne souffrante. Utilisant un asile psychiatrique comme métaphore de l’enfermement et de l’aliénation de son pays sous le joug du Duce, le cinéaste opte pour la forme du huis clos, qui renforce la sensation d’un État totalement coupé du monde. La folie, personnifiée par la musique dissonante mais un brin trop présente d’Ennio Morricone, sert d’ailleurs de refuge aux patients comme au personnel soignant, comme protégés par l’enceinte de l’établissement.
Tout comme dans Les garçons, Bolognini apporte un soin tout particulier à ses nombreux personnages féminins, notamment celui de Françoise Fabian, qui incarne la voie de la raison dans un univers en pleine déliquescence, un monde clos et restreint où la folie autorise tous les débordements et permet surtout d’abandonner ses responsabilités. À l’intérieur des murs de l’asile, le professeur Bonaccorsi impose sa loi de séducteur, allant même jusqu’à affirmer que le sexe et la nudité l’aident dans ses recherches scientifiques (voir la scène durant laquelle il touche sans vergogne la poitrine d’une patiente dénudée, alors en pleine crise). Sombrant peu à peu dans la démence, il est en quelque sorte le dictateur de l’asile, convaincu de ses théories personnelles et de son aura de meneur charismatique.
Ponctuant son récit de séquences d’un érotisme délicat, Mauro Bolognini livre une œuvre envoûtante, métaphore certes limpide mais néanmoins féroce d’un pays sur le point de sombrer dans le chaos, doublée d’un essai sur les vertus de la psychanalyse freudienne.