Uncut Gems
Howard Ratner, dit Howie, ne s’arrête jamais. Il croit à sa bonne étoile. Sous acides. Petit patron d’une échoppe de diamants à New York, ce joueur invétéré et hypocondriaque parie sur tout et n’importe quoi, et s’empresse de remettre immédiatement en jeu le moindre pactole gagné. Résultat, l’homme est criblé de dettes, poursuivi par un beau‑frère (Eric Bogosian) dont les sbires le méprisent autant qu’ils veulent lui faire la peau, une famille juive dont il s'échappe dès qu’il peut pour rejoindre sa maîtresse et des quantités d’individus qu’il a, un jour ou l’autre, embrouillés. Insaisissable, toujours en mouvement, Ratner est un météore qui court, fuit, détale, se dérobe, persuadé que sa vitesse et le coup d’après sauront rattraper le fiasco du précédent. Pour lui, la vie est un survival. Un jour, il récupère une opale d’Éthiopie, pierre précieuse dont il est convaincu qu’elle lui ouvrira enfin les portes du pays d’Oz.
Après Good Time, les frères Safdie s’affirment comme les nouveaux chefs de file d’un cinéma indépendant new‑yorkais qui renoue avec cette vitalité propre au meilleur cinéma américain des années 1970. Pour preuve d’abord, la qualité documentaire du film (le Diamond District, filmé avec un soin qui évoque les films de Sidney Lumet), mais aussi l’originalité du casting qui, hormis Adam Sandler dont c’est, à ce jour, le meilleur rôle, fait défiler une série de trognes incroyables qui parviennent à exister en quelques plans et détails, qu’il s’agisse d’un milliardaire libidineux tout entier résumé dans un brushing kitsch ou de ces deux diamantaires benêts sortis d’un film d’Herzog.
Howard Ratner incarne une sorte de Harry Fabian 2.0, ce looser magnifique des Forbans de la nuit de Jules Dassin qui vendrait tout pour devenir quelqu’un, mais plongé dans le monde des diamantaires new‑yorkais, sous haute influence du Mean Streets de Martin Scorsese. En dépit de ses défauts, de ses mensonges, de son côté bateleur, filou, infidèle et épuisant, on ne peut s’empêcher de soutenir ce bluffeur patenté dans sa quête illusoire d’un Graal.
Film noir oblige, Uncut Gems file tout droit vers un dénouement qu’on imagine tragique, une course frénétique, ininterrompue et constamment imprévisible qui dicte la dynamique du film et sa mise en scène enfiévrée. Le premier grand film américain de l’année.