Tu ne tueras point
Desmond Doss, fils d’un vétéran de la Première Guerre mondiale devenu alcoolique, s’engage dans le conflit suivant. Mais fidèle à ses croyances religieuses, il refuse de porter les armes au risque de passer en cour martiale. Devenu finalement infirmier, Doss va participer à l’abominable bataille d’Okinawa et accomplir seul le plus incroyable des exploits.
L’authentique histoire de Desmond Doss méritait d’être filmée. Ce vétéran de la Seconde Guerre mondiale, couvert des plus prestigieuses récompenses militaires américaines (Médaille d’honneur, Purple Heart…), n’a pourtant pas tiré un seul coup de feu. Il a passé sa guerre… à sauver des vies.
Face à un tel magnifique sujet, Mel Gibson tente un grand film humaniste, essayant de décrire au mieux une trajectoire hors norme. Il ne réussit qu’en partie son coup. Mel Gibson ne parvient pas vraiment à révéler le mystère Doss. Certes, le jeune adventiste a une foi chevillée au corps ‑des convictions religieuses qui lui interdisent les armes et le combat‑ mais les racines de sa volonté d’acier et son ahurissant courage restent peu explorés. Gibson, lui‑même très pieux, se contente de déclarations de foi maintes fois répétées comme un interminable mantra et d’un trauma d’enfance (la violence paternelle) pour nourrir l’élan du personnage.
Le film, bien qu’élégamment mis en scène, pêche à plusieurs niveaux. Une structure convenue (enfance, entraînement, combat) désormais beaucoup trop vue et une vision complètement fantasmée de l’Amérique d’avant‑guerre notamment. De menues erreurs de castings aussi : si Andrew Garfield (Doss), Dorothy Schutte (son amoureuse) ou Hugo Weaving (le père de Doss) excellent à leur art, Vince Vaughn manque totalement de crédibilité pour incarner un sergent instructeur. La phase entraînement s'en retrouve sapée.
Mel Gibson sait en revanche filmer la violence, il l’a prouvé tant dans Braveheart qu'Apocalypto et ne décevra pas ici les amateurs de massacres avec la bataille d’Okinawa. Si les séquences sont percutantes et souvent même pénibles à encaisser, le réalisateur laisse passer différentes scories qui peuvent agacer : renforts numériques sanglants ou explosifs peu convaincants, multiplication non‑sensique des tirs pleine tête (parce que plus graphiques ?) et allégories lourdes (un Japonais et un Américain se hurlent dessus comme des possédés avant d’être tués ensemble par la même grenade).
C’est juste après que Mel Gibson saisit enfin son film. Car cet hallucinant déluge de bruits, de sang et d’horreurs n’est finalement que la mise en place du décor de l’extraordinaire exploit de Doss. Un acte tout autant de bravoure que d’humanité, maintes fois répété, que Mel Gibson filme sans chichi, à fleur de peau et qui confère enfin cœur, nerfs et vraie singularité au récit.
Dans les dernières minutes du film, la fiction cède la place au réel. On écoute et voit le vrai Desmond Doss ainsi que quelques‑uns des camarades qu’il a sauvés à Okinawa. Simple, sans emphase ni prétention, avec juste une pointe d’humour pour évoquer l’horreur, le vrai Desmond Doss, devenu un très vieux Monsieur, montre en quelques secondes ce qu’est un véritable héros.