True Grit
Après avoir été le Dude de Big Lebowski, Jeff Bridges, post‑Crazy Heart, voix rocailleuse et démarche chaloupée, revient devant la caméra assagie des frères Coen dans la peau du Duke, alias John Wayne, le Marshall rustre et borgne de Cent dollars pour un shérif (Henry Hattaway, 1968), dont True Grit, adapté d’un roman éponyme de Charles Portis, constitue moins un remake qu’une relecture.
Mattie Ross, 14 ans, engage Rooster Cogburn afin de retrouver Tom Chaney (Josh Brolin), un bad guy de peu d’envergure responsable du meurtre de son père. Très vite, un Texas Ranger chargé lui aussi d’arrêter Chaney (Matt Damon) se joint à eux. Débute alors un périple à travers les plaines désertiques d’un no man’s land qui ne s’appelle pas encore l’Oklahoma.
L’air de rien, les Coen continuent donc d’arpenter l’Histoire de l’Amérique via son espace. Après le Minnesota de Fargo, le Texas de Sang pour sang et le Delta de O’Brother, True Grit se déroule en plein territoire indien, à ce moment hésitant de l’Histoire de l’Ouest où la Loi du Talion brûle de ses derniers feux. Bientôt, tuer et juger ne seront plus synonymes et le film, qui s’ouvre par une pendaison sur la place publique de Fort Smith, s’enferme dans une salle de tribunal où le vieux loup Cogburn doit répondre de ses actes passés, manière pour les Coen de poser d’emblée les termes de leur dialectique.
Tout le projet de True Grit est là : se tenir sur la ligne encore imprécise où l’Amérique d’hier (le troc, le vol, la vengeance, les posse) doit faire face à celle qui vient (la négociation, la Loi, le peuple). Face à Cogburn, dépositaire d’un Ouest en voie de disparition et déjà légendaire ‑le film s’achève tout naturellement devant les baraquements d’un Wild West Show‑ Mattie Ross incarne donc l’Amérique de demain, contrainte de chevaucher dans un entre‑deux ténébreux à la recherche d’un Liberty Valance lâche et balafré, dont le récit réglera rapidement le sort.
Nettement moins distancié que No Country for Old Men, auquel on ne manquera pas de le comparer, True Grit ne cherche pas à installer un jeu avec un genre et ses codes, le western, même si le fantôme de La prisonnière du désert hante parfois l’odyssée de cet étrange attelage, mais opte pour un traitement hyper‑réaliste, à peine stylisé, resserré autour d’une poignée de personnages à haute teneur allégorique. Pourtant, en cours de route et sans que l’on s’en aperçoive vraiment, True Grit change de visée et recouvre le récit de la vengeance (retrouver un homme) par le voyage initiatique de sa jeune héroïne (vaincre le Dragon, grandir et peut‑être même retrouver un Père), qui passera même par la case « terrier », un tunnel obscur envahi de cadavres et de serpents venimeux. Une merveille.