Tout le monde aime Jeanne
Adorée des médias avec sa start‑up visant au nettoyage des fonds marins, Jeanne semblait partie pour devenir une icône écologiste moderne. Mais lorsque son projet échoue de manière spectaculaire, la poussant vers la faillite et la honte sur les réseaux sociaux, celle‑ci est contrainte de partir en exil à Lisbonne pour vendre l’appartement de sa mère, décédée il y a un an. L’occasion de changer d’air, d’essayer de remettre sa vie à l’endroit… et peut‑être de faire quelques rencontres.
Petite voix version animation
Malgré son synopsis doucement bateau d’héroïne déprimée qui part mettre ses souvenirs de famille dans des cartons, Tout le monde aime Jeanne surprend en proposant une comédie douce‑amère mâtinée d’un peu de romcom à l’anglaise, qui sait cacher beaucoup de délicatesse derrière le burlesque de ses situations.
Venue du monde du cinéma d’animation, la réalisatrice Céline Devaux a décidé de ne pas renier ses origines pour son premier film en prises de vues réelles, proposant un long métrage à la forme singulière où les pensées du personnage principal sont représentées à l’écran dans des petites séquences crayonnées et colorées : minimalistes mais expressifs, des personnages aux formes abstraites montrent l’état de la psyché de Jeanne, commentateurs de l’intrigue proposant des réflexions aussi caustiques que mélancoliques (c’est d’ailleurs la réalisatrice qui se charge de leur donner sa voix gouailleuse).
Un format hybride dont les différentes parties se croisent parfois de manière un peu artificielle mais qui donne au film non seulement une patte visuelle enthousiasmante (des rues de Lisbonne aux aplats de couleurs vives, voilà un film qui n’a pas peur d’être lumineux), mais permettent également d’étendre le champ des possibles pour représenter son intrigue, bien mieux qu’une simple voix off n’aurait pu le faire (en espérant que Céline Devaux continue de creuser ce concept sur ses prochaines réalisations)
Le gratte-poil Laurent Laffite
Toutes ces trouvailles visuelles n’auraient été que du vent si le film ne pouvait pas avant tout compter sur un formidable duo d’acteurs, ingrédient indispensable à toute comédie romantique digne de ce nom. En tête, on retrouve l'humoriste Blanche Gardin dans le rôle de Jeanne qui, une fois de plus, joue à merveille la quadra névrosée adepte de l’autodérision. À ses côtés, l’excellent Laurent Lafitte sert de parfait contrepoint, incarnant un personnage fantasque et complètement hors‑sol, ancien camarade de classe qui prend la vie avec une impossible légèreté, s’amusant à voler dans les supermarchés ou à se faire passer pour quelqu’un qu’il n’est pas.
Avec ses répliques savoureuses et ses attitudes proches du burlesque, il vient chambouler la vie de Jeanne et tout le film, servant de poil à gratter salutaire au moindre temps mort, chacune de ses apparitions apportant une savoureuse touche de décalage et d’inattendu. Mais le grand dadais nonchalant sert aussi d’antidote à la morosité pesante du grand appartement vide où Jeanne erre en fuyant autant que possible le fantôme de sa mère. Car derrière ses idées saugrenues, le personnage de Lafitte a le simple mérite d’être là, tout simplement, sans jugement ni attentes, et d’apporter un peu de douceur dans la vie cabossée de Jeanne : une oreille pour écouter, une épaule sur laquelle se pencher.
Et c’est avec beaucoup de douceur et de justesse que le film peut alors se permettre d’aller vers l’émotion, dans quelques très belles scènes cathartiques où la vaisselle brisée peut aussi être un moyen de se reconstruire.