The Who : Live at the Isle of Wight 2004
Lorsque les Who arrivent sur la scène du Isle of Wight Festival en 2004, l'événement est historique : c'est là que 34 ans plus tôt, au sommet de leur carrière, entre Tommy et Who's Next, le quatuor anglais avait livré une performance mémorable, exhumée dans de nombreux formats au fil des ans (la plus récente en Blu-Ray en 2009). Après tant d'années, marquées par les décès du batteur Keith Moon et du bassiste John Entwistle, ainsi que par la mise en sommeil du groupe dès 1982, on aurait pu craindre que ce retour aux affaires donne le triste spectacle d'un groupe abîmé par les années. Il n'en est rien. Dès les premières notes, le premier accord de I Can't Explain, la fougue puissante et épique des Who est là, intacte.
Le long d'un pur show best of de 23 titres couvrant l'intégralité de leur carrière (depuis les riffs légendaires de My Generation et Substitute jusqu'aux hymnes flamboyants Won't Get Fooled Again ou Who Are You), ce sont les deux membres originaux du groupe que la caméra suit intensément, histoire de démontrer que l'âge n'a pas émoussé le talent : amputé de sa tignasse bouclée, Roger Daltrey surprend par son timbre inchangé et la puissance de sa performance au milieu d'un groupe rock mordant, atteignant sans peine les notes aiguës de sa jeunesse. Quant à Pete Townshend, entre ses solos et ses moulinets d'anthologie, il reste le même guitariste prodige et nerveux, remuant sans cesse sur scène, donnant la réplique à Daltrey. Mais si The Who réussissent à sonner aussi actuels, c'est aussi grâce à ses nouveaux membres qui lui apportent fraîcheur et énergie, et en particulier Zak Starkey, le fils de Ringo Starr des Beatles. Obligé de prendre la place d'un des plus grands batteurs de l'histoire du rock, Keith Moon, il redouble de roulements et breaks clinquants pour donner aux tubes du groupe une puissance mastodonte vitale.
Si la performance est brillante, on regrettera cependant que le show en lui‑même ne soit pas particulièrement marquant visuellement. Semblant un peu à l'étroit sur la scène du festival, le groupe n'est pas aussi démonstratif que dans les années 70, laissant même s'installer quelques étranges moments de flottement entre les morceaux (au moment du rappel par exemple, où le groupe ne quitte pas la scène), et particulièrement dans les interactions entre Daltrey et Townshend, dont on sait bien que la relation a toujours été orageuse (étrange séquence durant Baba O'Riley où Townshend semble dire à Daltrey d'arrêter de jouer son solo d'harmonica). La réalisation souffre également de certains effets devenus un peu kitsch depuis 2004 (zooms rapides maladroits, caméra à l'épaule dans des angles improbables depuis l'arrière‑scène) et d'une qualité visuelle parfois inégale.
Ces menus détails ne sauraient occulter la force hors d'âge de ce Live at the Isle of Wight 2004. Et lorsque s'achève ce feu d'artifice rock de plus de deux heures sur une version bluesy endiablée de Magic Bus, on en retient le principal : une énergie toujours aussi juvénile et intense. Pour un groupe formé en 1961, c'est déjà beaucoup.