The Social Network
À 26 ans, Mark Zuckerberg fait donc déjà l’objet d’un biopic. Le fondateur de Facebook croise la route de David Fincher (et du scénariste Aaron Sorkin, créateur de la série À la Maison Blanche) qui, après l’humide marshmallow Benjamin Button, retrouve quelques couleurs mais pas la grande forme que Zodiac laissait entrevoir.
Nous sommes en 2004 lorsqu’un petit génie de l’informatique, un geek speedé comme Hollywood en a filmé des flopées, a l’idée saugrenue de pirater les photos du trombinoscope de Harvard afin de provoquer l’élection sauvage de la plus belle fille du campus. Petit scandale, tollé de l’institution, conseil de discipline, mais Zuckerberg, au fond, s’en contrefout. Deux fils à papa, les frères Winklevoss, lui proposent alors de travailler à une version 2.0 de son happening informatique et de le transformer en réseau social hype pour étudiants triés sur le volet. Zuckenberg récupère l’idée, fait le mort et sort quelques mois plus tard une première version (The Face Book) d’un réseau qui pèse aujourd’hui plusieurs milliards de dollars.
Fincher relate cette épopée à la vitesse grand V et décrit pas à pas la trajectoire météorique de cet ado surdoué et antipathique, obsessionnel et autiste, qui semble avoir très tôt fait le deuil du rapport à l’autre, autrement dit au sexe féminin (tout débute symboliquement le jour où sa petite amie le largue), passant le réel, les affects, l’imprévu et le monde qui l’entoure, à la moulinette d’algorithmes et de programmes codés. D’où l’ironie géniale de ce personnage ni attachant, ni vraiment intéressant (rien ne l’excite plus que de tapoter sur son PC), qui sort de terre un réseau social mondial sur la base d’une incapacité, voire d’une frustration, à établir le moindre rapport à l’Autre. Le même qui ne possède aujourd’hui pas moins d’un demi‑milliard d’amis.
Au fond, c’est la seule chose que l’on retiendra de The Social Network : le film, distant et atone, ne raconte rien d’autre sur Facebook et ses membres (on ne sort jamais de la bulle de ces e‑businessmen qui, entre bières et tirades jargonneuses hyper‑speed, invente le cadre uniforme et fliqué dans le lequel nous exerçons notre liberté), ne verse jamais dans la sociologie de comptoir (comment Facebook a modifié notre rapport au monde ?), ne provoque ni excitation ni ennui véritable, comme si Fincher avait épuisé dès ses premières minutes le potentiel d’un personnage dramatiquement faible et la superficialité d’une épopée aussi sexy que le mode d’emploi d’une machine à laver.
Tandis que Zuckerberg, suite à son premier coup d’éclat, commence à éveiller l’intérêt des filles (chose sur laquelle il semble avoir fait une croix définitive), l’une d’entre elles, pince‑sans‑rire, lui demande si ce « video game » qui fait fureur sur le campus n’est pas cet endroit où des gens ont la prétention de croire que ce qu’ils pensent et vivent mérite d’être « partagé ». Tout est dit.