The Savage Eye
Après un divorce douloureux, Judith McGuire (Barbara Baxley) décide de trouver un second souffle en s’installant ailleurs. Nouveau départ, nouvelle ville. Elle débarque alors à l’aéroport de Los Angeles où, curieusement, une voix se met à l’interroger et l’accompagne dans ses moindres faits et gestes. Comme parlant à un confident ou peut-être à elle-même, Judith délivre chacune de ses impressions, ses manques, ses rêves, ses angoisses. La voix intérieure et la femme seule, inexorablement rivées à la mégalopole californienne.
The Savage Eye rappelle l’esthétique brutale d’Hiroshima, mon amour (Alain Resnais, 1959), réalisé tout juste un an auparavant, avec sa succession de gros plans, lesquels se heurtent à une luminosité presque artificielle. Néanmoins, ici, le travail sur la mémoire a succombé à l’enregistrement ponctuel de la réalité : il s’agit de la saisir dans toute sa véracité, voire sa crudité.
La Cité des Anges suinte de fatigue, sous la chaleur écrasante d’un été caniculaire. À travers cette étrange odyssée, l’œil solitaire de Judith se pose sur une faune ordinaire et monstrueuse à la fois. À la manière d’une documentariste et pourtant emportée dans la tourmente de sa propre existence, la femme blessée relève l’absurdité humaine pendant un match de catch et méprise cette masse de personnes qui fêtent le nouvel an, tous seuls parmi des milliers. Voici que la solitude du dehors vient contaminer celle du dedans, la dimension introspective côtoie sans cesse les rues trop fréquentées, les tripots malfamés ou les plages crasseuses de la côte.
L’incroyable séquence (réelle) de l’Église, où le prédicateur rassure ses fidèles en transe à coups d’« Amen » et de prières, arrive comme le point culminant d’une folie infectieuse, entre expérience mystique et dérive communautaire. Toujours présente, cette voix, qui confronte le temps intime de l’héroïne à un espace hostile auquel elle n’appartient pas, et qui tente encore de communiquer, lorsque le monde n’est plus qu’une représentation dégradée de lui-même, une sorte de boîte à musique dissonante.