The Descent 1&2
Il ne lui aura fallu qu’un seul tour de chauffe (Dog Soldiers, 2002) pour renouveler un genre et lui offrir un chef‑d’œuvre. Deuxième opus en 2005 du cinéaste britannique Neil Marshall, The Descent est sans doute le meilleur film d’horreur de sa décennie. Ce n’est pas rien.
Sur le papier, a priori, du déjà‑vu : six jeunes femmes citadines partent dans les Appalaches pour une expédition spéléologique qui va tourner au cauchemar intégral lorsqu’elles réalisent que les caves qu’elles arpentent sont habitées par une espèce anthropophage.
Survival pur et dur, d’une sauvagerie progressive et finalement inouïe, The Descent enterre vingt ans d’horreur au second degré et de remakes acidulés, et renoue avec le meilleur du cinéma américain des années 70. Trois références obsédantes (Délivrance, Apocalypse Now et Alien) mais une seule question : à quoi sommes‑nous prêts pour survivre lorsque le monde se résume à un tord‑boyaux souterrain peuplé de créatures cannibales avec lesquels on ne négocie pas ?
Pour Marshall, la réponse tombe comme un couperet : nous sommes prêts à tout, à abandonner notre prochain aux dents voraces des monstres, à tailler menu l’Autre et lui fracasser le crâne, à pulvériser tout ce qui fonde moralement notre être civilisé, à descendre jusqu’au bout de la violence, de l’horreur et de la boucherie. Comme Dustin Hoffman dans Les chiens de paille, le passage à l’acte, le premier, est difficile parce qu’il faut surmonter nos bonnes manières, notre peur de la violence, le dégoût des giclées écarlates et le regard de vos proches lorsque le visage maculé de sang, une fraction de seconde, vous rend méconnaissable. Descente au fond de soi, donc, là où l’homme erre en territoire animal. Car pour survivre, il faut anéantir l’autre, et pour l’anéantir, il faut lui ressembler. Leçon coppolienne : comme Martin Sheen avant le meurtre du Colonel Kurtz (Apocalypse Now), l’héroïne du film refait surface dans une flaque de sang. Renaissance littérale avant sa métamorphose en harpie furieuse et barbare.
Ce qui rend The Descent si précieux et si dérangeant tient dans le rapport frontal de Marshall à son sujet. Aucune porte de sortie (dans les profondeurs, personne ne vous entend hurler), aucune réflexion possible (tout va trop vite), aucune inclinaison envers l’ennemi, aucun pacte possible avec lui puisque du début à la fin, son projet ne varie pas d’un iota : vous dévorer. Trouille insurmontable (pour elles et le spectateur) et chacun pour soi. En bas, pas d’autres catégories que celles de prédateurs et des proies, et la boussole morale, à force de s’affoler (ni bons, ni méchants, juste des appétits et des instincts), n’indique plus rien : l’obscure loi des profondeurs a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Film claustrophobe dans lequel le cadre se réduit à un tuyau minéral où l’on progresse à tâtons, The Descent, comme Alien ou The Thing dont il a retenu la paranoïa, adopte la structure du huis clos et atomise la solidarité du groupe. Très vite, le film redistribue les cartes et l’on ne sait plus à quel monstre se vouer.
La fin, si éloignée du happy end contemporain ou de la rédemption par la violence, nous laisse sur le carreau. Ou plutôt au fond d’une grotte suintante, mille pieds sous terre et dans une mare de viscères. The Descent prolonge ainsi Délivrance et radicalise sa morale : on ne sort jamais indemne d’avoir été sauvage. La main sort de terre, on croit enfin respirer. Fausse piste : on reste au fond, exténué, à patauger au milieu des cadavres.
Succès oblige, The Descent devait forcément voir le jour, ou plutôt retourner dans les tords‑boyaux caverneux des Appalaches. Le film de Jon Harris débute deux jours à peine après la fin du premier opus. Sara, épouvantée, est recueillie par un garde forestier et transportée dans un hôpital. Au même moment, une équipe de sauveteurs tentent de retrouver la trace des cinq jeunes filles disparues.
C’est reparti pour un tour : Sara, le shérif, son assistante et trois spéléologues replongent dans les profondeurs ténébreuses d’une mine abandonnée. Forcément déceptif, The Descent 2 n’arrive pas à la cheville du Marshall, ni du point de vue de la mise en scène, ni de celui du récit. Pourtant, passé une première demi‑heure poussive avec des personnages peu convaincants, le film recale ses pas dans ceux de son aîné, fait réapparaître l’une des jeunes femmes et renoue enfin avec l’horreur viscérale (en plus gore) du film de Marshall. Un faux remake finalement honorable.