The Batman
Après une trilogie chez Christopher Nolan inégale mais iconique et une parenthèse avec Ben Affleck que seuls les fans de Zack Snyder ne voudront pas oublier, que restait‑il à faire avec Batman que nous n'avions pas déjà vu ces quinze dernières années ?
C’est l’épineuse tâche à laquelle est attelé Matt Reeves, le réalisateur de Cloverfield qu’on avait vu faire ses armes dans le domaine du blockbuster en réalisant deux épisodes du reboot de la Planète des singes en 2014 et 2017. Où aller avec ce personnage ambigu, sombre, venu de l’ombre ? Pas une origin story, trop souvent vue. Pas non plus une grande fresque épique pour rivaliser avec la concurrence chez Marvel. Peut‑être simplement un retour aux sources : celle d’un héros‑détective, vengeur solitaire, errant dans les nuits de Gotham City pour essayer d’y apporter sa justice.
Look grunge et démons intérieurs
Si The Batman puise dans l’univers des comics, il vient plutôt chercher son inspiration du côté de ceux de Frank Miller et tout particulièrement son sombre Year One de 1988. On retrouve un Bruce Wayne venant d'entamer sa double vie de justicier, encore considéré avec méfiance par la police et le grand public. Un Batman jeune, instable, plein de doutes, que Reeves a eu l’excellente idée de faire camper à Robert Pattinson (décidément adepte du grand écart avec The Lighthouse). Teint blafard, cheveux noirs qui lui tombent devant les yeux, look grunge, il incarne à merveille ce personnage, sans surjeu à la Christian Bale, comme habité d’une colère intérieure, coquille vide cherchant dans la vengeance et la violence une réponse à ses propres démons. Un Batman humain que l’on apprend à connaître au fil du film, par petites touches de vulnérabilité.
Au commencement, une enquête
Mais le vrai coup de génie de The Batman, c’est de débuter avant tout comme un thriller, une enquête dans le sillage d'un serial killer. Dans Gotham, des grands pontes du monde politique et judiciaire sont assassinés par un maniaque mystérieux et glauque qui laisse sur les cadavres des énigmes sur son identité. Qui est‑il ? Quel est son objectif ?
Plutôt que d’évoquer le monde des super‑héros, le film puise dans l’ambiance du Zodiac de David Fincher et ses scènes de crime étudiées méthodiquement, dans un jeu de cache‑cache avec le Riddler, interprété avec brio par Paul Dano (décidément trop rare depuis There Will Be Blood). Pas de séquences d’action spectaculaires dans le premier acte, mais un film noir bien senti où Batman fait la connaissance de toute la faune tapie sous la ville : corruption, mafia (avec John Turturro ou encore Colin Farrell, un peu sous‑employé en Pingouin), arrangements des puissants aux dépens du peuple.
Pure femme fatale de cinéma
Pour le guider dans sa quête, il peut compter sur sa traditionnelle galerie d'alliés : le commissaire Gordon écrasé par le poids de sa hiérarchie taiseuse (excellent Jeffrey Wright, comme toujours) ou la mystérieuse Selina Kyle (alias Catwoman, jouée par la magnétique Zoë Kravitz, qui n’a rien à envier à Michelle Pfeiffer 30 ans plus tôt), alliée de fortune et pure femme fatale de cinéma n’hésitant pas à se salir les mains quand Batman ne va pas assez loin pour elle.
Malgré le rythme relativement lent du film (qui culmine tout de même à près de trois heures !), on plonge dans cette enquête langoureuse, attendant avec anxiété les moindres interactions avec un Riddler atrocement familier, évoquant les terroristes nihilistes qui fleurissent dans l’Amérique moderne. On ne peut d’ailleurs que souligner la réalisation très élégante (quoique parfois un peu sombre), donnant à voir une jungle urbaine stylisée mais toujours crédible.
Au final, intense et glaçant
Bien sûr, grand blockbuster oblige, l’action s’accélère au fur et à mesure que l’intrigue prend de l’ampleur. Malgré quelques vraies longueurs (dont cette scène de course‑poursuite en voiture sous la pluie, inventive mais rapidement confuse et sans enjeux clairs), le film réussit son pari en proposant un dernier acte intense et glaçant, montrant un Batman dépassé par son ennemi dans un Gotham ravagé.
Et si les derniers plans pourront faire grincer des dents, semblant revenir vers une figure du super‑héros/Messie que le reste de l'histoire avait pourtant passé son temps à déconstruire, on ne peut que saluer un film de cette ampleur et de ce budget qui réussit à créer une atmosphère singulière, proposant un cinéma à la fois populaire et plein d’inventivité et d’audace.
Reste à voir maintenant où cette histoire nous mènera, une trilogie étant d’ores et déjà prévue. Espérons que Matt Reeves saura conserver ce qui fait de The Batman une si belle surprise : une humanité et une certaine simplicité, rafraîchissante pour le genre.