Suzanne
Suzanne (Sara Forestier) et Maria (Adèle Haenel) sont deux inséparables sœurs, élevées par Nicolas (formidable François Damiens), leur père veuf attentionné et aimant, quoique souvent absent à cause de son emploi de routier. Aux antipodes de sa cadette, fofolle et exubérante, Suzanne est secrète, introvertie, très peu loquace. Un jour, son père apprend qu’elle est enceinte (on ne saura pas de qui). En dépit de la seule gifle qu’il lui donnera, elle décide de le garder parce qu’« elle en a envie ». Bientôt, elle rencontre Julien (Paul Hamy), un type un peu pommé pour lequel elle plaquera tout par amour.
Après Un poison violent (2010), premier long métrage qui lui valut un accueil critique très favorable, Katell Quillévéré a choisi un prénom pour sa seconde fiction naturaliste. Loin d’être anodin, le titre du film rend hommage au cinéma de Maurice Pialat en général et À nos amours (1983) en particulier.
À l’instar de l’adolescente ambigüe en pleine crise filiale (souvenons‑nous du rapport à la fois tendre et conflictuel qu’elle partage avec son père), la Suzanne revisitée de Quillévéré finit par rompre tous liens avec sa famille et s’affranchit, sans même le savoir, de la destinée qui lui était réservée (un job rébarbatif d’opératrice de saisie dans la boîte de son père). Néanmoins, l’inconnu de la jeune femme misera davantage sur le chaos que la promesse d’une vie meilleure.
Des ellipses récurrentes laissent hors‑champ les embûches et autres délits graves accomplis par la jeune femme afin que seules les conséquences déclenchent le pas supplémentaire (toujours de trop) vers un nouvel écueil borderline. Projetée dans la spirale infernale dont elle est l’unique responsable, Suzanne cumule les tares d’un personnage condamnable (après tout, elle a abandonné son fils, renié plus ou moins ses proches), or, c’est avec une élégance impressionnante que la réalisatrice contourne les dangers des schémas réducteurs. Une merveille.