Suprêmes
Dalida, Piaf, Claude François, Gainsbourg… : s’il nous avait plutôt habitués aux biopics musicaux de qualité variable sur les idoles de la chanson, il y a quelque chose de rafraîchissant à voir le cinéma français s’essayer enfin à d’autres genres et d’autres époques avec la sortie de Suprêmes, film retraçant les débuts du groupe de rap NTM dans la Seine‑Saint‑Denis de la fin des années 80.
D’autant que l’histoire du duo formé par Joey Starr (lui‑même devenu acteur !) et Kool Shen, depuis les premières scènes survoltées jusqu’à leur premier Zenith, est une aventure musicale aussi bien que le portrait d’une génération qui était bien décidée à prendre la parole, qu’on la lui donne ou non. Un récit de colère dont les maux semblent toujours les mêmes aujourd’hui, comme si peu de choses ou presque n’avaient bougé depuis 1989, et pas toujours dans le bon sens.
Un regard sérieux, instruit et documenté
Pour raconter cette histoire, débutant énergiquement dans les tunnels du métro parisien tagués en bande organisée, la réalisatrice Audrey Estrougo fait le pari de la fidélité historique, recréant l’ambiance des cités de Saint‑Denis dans les moindres détails, coupes de cheveux pas toujours heureuses (le mulet de Kool Shen…) et fringues clinquantes. Une volonté assumée et salutaire de vouloir poser sur le rap français un regard sérieux, instruit et documenté. Un soin qui rend la mise en scène parfois un peu sage, alors qu’elle aurait pu s’inspirer un peu plus de la nervosité des esthétiques de l’époque, même si le résultat reste plutôt réussi, donnant au film une aura rétro assez convaincante.
Sandor Funtek et Théo Christine, parfaits
L’autre force du film tient aussi en son duo d’interprètes. La tâche était complexe tant les visages et les attitudes des deux rappeurs ont imprégné la culture populaire depuis les années 90. Et pourtant, Sandor Funtek se révèle très convaincant en Kool Shen taciturne et concentré, tandis que Théo Christine réussit plutôt bien à cerner le personnage Joey Starr, tantôt jeune loup goguenard, tantôt fils blessé dormant dans les rues. L’énergie entre les deux acteurs déborde à l’écran quand ils sont ensemble, accompagnés par tout un joyeux crew de petits rôles qui électrisent les séquences de concert et de tournées. Dommage cependant que les dialogues de certaines scènes, particulièrement dans le premier tiers du film, semblent parfois résonner avec une certaine fausseté, avec une écriture parfois un peu trop appuyée et maladroite quand le ton devient plus dramatique.
Trop hagiographique ?
Évidemment, il est difficile de pouvoir résumer le destin d’un groupe en l’espace d’une centaine de minutes, et les spécialistes noteront quelques étonnantes omissions ou simplifications (aucune mention des premières radios du groupe par exemple). Pour autant, le résumé un peu romancé que propose Suprêmes reste aussi satisfaisant qu’instructif, montrant le fruit de la rencontre entre des rappeurs talentueux et charismatiques, des producteurs improbables mais ayant eu le nez creux, et une industrie musicale qui était encore florissante à l’époque, cherchant à saisir et à profiter d’une culture hip‑hop en pleine ascension.
Mêlant histoires personnelles et anecdotes légendaires (le concert donné au milieu d’une cité, éclairé par des phares de voiture, après l’annulation d’une date par la mairie ‑filmé avec beaucoup de grâce par Estrougo‑), le film suit avec fluidité le destin du groupe, même si son parcours est parfois un peu trop présenté comme une promenade de santé : les textes sont écrits en 5 minutes, les concerts sont des succès sans avoir été répétés, les enregistrements sont des victoires, même quand Joey Starr arrive en retard sans avoir rien écrit.
Le plaisir est là
Sans nier le talent évident de NTM qui les a fait atteindre le statut de star en l’espace de quelques années (même si l’album majoritairement entendu ici, Authentik, sorti en 1991 est loin d’être leur meilleur), on a l’impression de voir un groupe touché par la grâce continuellement, donnant au film des allures de success story un peu trop facile. Mais c’est peut‑être ça aussi que mérite ce hip‑hop français historique aujourd’hui : une place au soleil, un statut d’icône et des films hagiographiques qui montrent comment deux gamins sont partis de rien pour atteindre des sommets. Et quand la bande‑son est signée NTM, le plaisir est là.